Justin Mugenzi était ministre du Commerce pendant le génocide des Tutsis de 1994, tandis que Prosper Mugiraneza détenait le portefeuille du Travail. Le 30 septembre 2011, les deux hommes, originaires de l’est du Rwanda, avaient été condamnés à 30 ans de réclusion chacun, après avoir été déclarés coupables d’entente en vue de commettre le génocide et incitation directe et publique à commettre le génocide. Motif : leur présence à deux réunions historiques en avril 1994 dans le sud du Rwanda.
Leurs collègues de la Santé et des Affaires étrangères, Casimir Bizimungu et Jérôme Bicamumpaka, qui n’étaient pas présents aux deux rencontres, avaient été acquittés. Après avoir rappelé que « l’appel n’est pas un nouveau procès », le président de la chambre d’appel Theodor Meron a donné la parole à la défense de Mugenzi.
Entreprise criminelle commune
Maître Kate Gibson a ouvert sa plaidoirie par l’éloge de son client. « Mugenzi a fondé et dirigé le Parti libéral qui prêchait la tolérance et la paix ». Pour l’avocate, Mugenzi est resté le même pendant et après le génocide des Tutsis. Abordant le fond de son appel, elle a commencé par le conseil des ministres du 17 avril 1994, à Gitarama, qui avait limogé le préfet tutsi de Butare, Jean-Baptiste Habyarimana. Selon le jugement de première instance, ce limogeage procédait d’une entente, au niveau du gouvernement, pour enlever le dernier obstacle aux massacres de Tutsis dans cette préfecture du sud. Les juges de première instance ont conclu que la décision avait été prise dans le cadre d’une entreprise criminelle commune (e.c.c) visant à détruire en tout ou en partie le groupe ethnique tutsi.
Maître Gibson a affirmé que la chambre n’avait reçu aucune preuve directe selon laquelle la mise à l’écart du préfet Habyarimana visait à favoriser la machine génocidaire. Ce n’est en tout cas pas la seule conclusion raisonnable, a-t-elle plaidé. Parmi les autres raisons possibles, l’avocate a mentionné l’absence du préfet à certaines réunions officielles et le manque de rapports sur la situation sécuritaire dans sa préfecture.
Concernant la réunion du 19 avril à Butare au cours de laquelle le président intérimaire Théodore Sindikubwabo avait présidé l’investiture d’un nouveau préfet, Me Gibson a d’abord fait valoir que Mugenzi payait fort « un discours qu’il n’a pas prononcé ». Elle a ajouté que le discours était «ambigu et confus ». Pour elle, l’incitation au génocide n’est pas la seule conclusion raisonnable. Dans ce célèbre discours prononcé en kinyarwanda, l’orateur appelle les gens de Butare à travailler (gukora, en langue rwandaise).Tout cet argumentaire a été repris à son compte par Tom Moran pour la défense de Mugiraneza. L’avocat a ajouté que son client s’était d’ailleurs abstenu lors de la décision gouvernementale de limoger le préfet. Abstention n’est pas consentement, a-t-il plaidé en substance.
Discours inflammatoire
S’exprimant pour le bureau du procureur qui n’avait pas fait appel, George Mugwanya a affirmé que la chambre de première instance avait fait une lecture cumulée des éléments de preuve. « Le limogeage du préfet de Butare avait pour but de promouvoir le génocide. Le discours (présidentiel) prononcé, deux jours plus tard, et qui était de nature inflammatoire, participait également du génocide. Les condamnés ont participé » aux deux événements, a conclu le représentant du procureur.
Prenant la parole en dernier, les deux anciens ministres ont, une nouvelle fois, clamé leur innocence. Mugenzi a appelé les juges « à reconsidérer cette condamnation et (le) déclarer innocent de toutes les charges ». « J’ai pris l’initiative de défendre les droits politiques et civils des Tutsis », a-t-il ajouté. Le procureur soutient que le président du Parti libéral avait troqué ses idéaux de départ contre un portefeuille ministériel en 1993. Après avoir également demandé l’acquittement, Mugiraneza a adressé sa pensée « aux innombrables tutsis tués pendant le génocide » et a remercié, de façon particulière, les survivants venus du Rwanda pour témoigner pour sa défense « au péril de leur vie ». « La chambre d’appel rendra son arrêt en temps opportun », a conclu le juge Meron.
ER/GF