"La France n'est pas encore prête à accorder une extradition vers le Rwanda", déplorait l'avocat du Rwanda Gilles Paruelle, à l'issue des plaidoiries sur le fond.
Au vu des nouveaux éléments apportés au dossier par Kigali, l'avocat général Jean-Charles Lecompte a prononcé en effet un "avis défavorable" à l'extradition du Rwandais, après en avoir donné un "partiellement favorable" en juin dernier. En cause selon lui, "le manque de clarté manifeste" des autorités rwandaises depuis le début de cette "procédure au long cours".
Elle a débuté le 9 août 2011, avec l'interpellation à Créteil (près de Paris) de l'ancien ministre du gouvernement intérimaire en 1994. Un mois avant la visite à Paris du président rwandais Paul Kagame, l'ancien ministre est placé sous écrou extraditionnel. Le dossier transmis alors à Paris par Kigali est incomplet, ne comporte pas de demande d'extradition explicite, et le mandat d'arrêt produit est daté postérieurement à l'arrestation.
Le Rwandais est relâché fin septembre et la procédure d'extradition se poursuit. Puis le tribunal perd son dossier à la fin de l'année, pour le retrouver quelques mois plus tard. "Faute de moyens, ce tribunal marche sur trois pattes", expliquera la présidente de la chambre d'instruction, Edith Boizette. Le 4 juillet, elle demande des compléments d'information au Rwanda, sommé dit-elle de "reprendre sa copie et de transmettre une demande d'extradition en bonne et due forme".
On en est au troisième envoi de la part des autorités rwandaises. Qui émettent dans la foulée un nouvel acte d'accusation et un nouveau mandat d'arrêt, pour les adapter à la nouvelle législation. Les textes de loi indexés manquent toutefois au dossier, note la Cour.
A l'audience, l'avocat général se dit "surpris" de voir que la demande d'extradition émane du même procureur général qui a signé l'acte d'accusation et le mandat d'arrêt, Martin Ngoga, "alors que dans toutes les facultés de droit on enseigne qu'une demande d'extradition devrait être le fait d'un gouvernement."
Et le nouveau mandat d'arrêt "est encore postérieur à la demande d'information complémentaire", pointe-t-il, fustigeant "cette fichue manie de modifier les règles du jeu en cours de route" du procureur rwandais. "Les faits reprochés sont extrêmement graves, encore faudrait-il qu'ils soient présentés de façon conforme au cadre formel", dit-il.
Pour des motifs similaires - il parlait alors d'"approximation", de "flou artistique" - le même avocat général a donné, en juin 2011, un avis défavorable à la demande d'extradition de la veuve de l'ancien président Juvénal Habyarimana, refusée en 2011 au Rwanda comme jusqu'ici toutes celles adressées à Paris.
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) n'ayant pas inculpé l'ancien ministre des Travaux publics, "cette demande d'extradition et ses poursuites sont de nature politique", estime son avocat Vincent Courcelles-Labrousse. Pour qui le seul fait d'avoir participé au gouvernement intérimaire ne suffit pas à rendre quelqu'un complice. "Quatre ministres de ce gouvernement ont été acquittés à Arusha et d'autres n'ont pas été poursuivis", indique-t-il.
Le transfert du pasteur Uwinkindi du TPIR vers le Rwanda, en avril dernier, plaide toutefois en faveur d'une extradition vers un pays dont le système judiciaire a été profondément réformé, invoque de son côté la partie rwandaise. "Le TPIR n'aurait pas changé de position si le système judiciaire rwandais n'avait pas changé", plaide Me Paruelle. "La confiance du TPIR envers Kigali est telle qu'il a organisé un mécanisme d'observation, dont mon client ne bénéficiera pas", réplique Me Courcelles.
Le 19 décembre, la Cour d'appel de Paris rendra également sa décision dans une autre demande d'extradition du Rwanda, concernant Vénuste Nyombayire.
FP/GF