« En dix-huit ans, la France n'a jamais rien fait concernant les suspects de génocide. Pourquoi ? Parce qu'elle protège encore les génocidaires », déclare le magistrat rwandais, laissant entendre qu’il ne croit plus en l’indépendance de la justice française. Plusieurs dossiers ont été ouverts en France mais aucun procès n’a encore commencé. Parmi les personnes visées par ces enquêtes figurent deux accusés du Tribunaux pénal international pour le Rwanda (TPIR) dont les dossiers ont été confiés à la justice française fin 1997. «Mais pourquoi les dossiers n'ont-ils toujours pas abouti ? Le TPIR a confié à la France deux dossiers. Elle les a acceptés en s'engageant à être diligente. Or cela traîne depuis plus de cinq ans », souligne le procureur général. « Je remarque que Laurent Bucyibaruta, l'ancien préfet de Gikongoro, était présent dans le périmètre contrôlé par l'armée française. J'en déduis que c'est une manière de le protéger. Nous n'avons pas toutes les preuves, mais nous savons lire entre les lignes », poursuit Ngoga. Il n’exclut pas des poursuites rwandaises contre la France. « Ce choix n'est pas encore fait, il appartient au gouvernement. Mais nous n'allons pas rester les bras croisés tant que ces gens, qui ont tué les nôtres, jouissent de l'impunité en France », indique-t-il. Martin Ngoga critique par ailleurs les récentes décisions de la justice française en faveur de Rwandais soupçonnés de participation au génocide des Tutsis. Le 6 décembre, la justice a ordonné la régularisation du dossier d'Agathe Habyarimana, la veuve de l'ancien président Juvénal Habyarimana, considérée par le Rwanda comme l'un des cerveaux du génocide de 1994. Le 19, elle a annoncé qu'elle rejetait la demande d'extradition de l’ex-ministre Hyacinthe Rafiki Nsengiyumva et de Vénuste Nyombayire, un ancien agent de l’administration. « La cour a insinué que nos inculpations étaient politiques. Nous avons trouvé cette remarque insultante et ridicule. Les juges français doivent savoir que leur pays est le seul à n'avoir ouvert aucun procès », affirme le procureur général. « Il y a eu des inculpations dans beaucoup d'autres pays d'Europe, en Belgique, aux Pays-Bas et dans les pays scandinaves, et cela s'est fait sur la base de nos accusations », poursuit-il. « Le Tribunal pénal international pour le Rwanda nous a aussi donné raison. Si nous ne savions pas comment nous y prendre, si nos motivations étaient politiques, nous n'aurions pas obtenu ces résultats. C'est la France qui prend des décisions politiques », ajoute-t-il. Le TPIR a déjà transféré certains de ses dossiers devant les tribunaux rwandais.
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© Agence Hirondelle