Le célèbre linguiste rwandais a plaidé en vain pour la tenue de son procès en français plutôt qu’en kinyarwanda, la langue rwandaise. Bernard Munyagishari mène actuellement le même baroud.Extradé en janvier 2012 du Canada où il vivait depuis près de 20 ans, Léon Mugesera avait argué, devant la justice rwandaise, ne plus maîtriser le kinyarwanda, en particulier celui des cours et tribunaux. « Dans le domaine juridique et scientifique, il y a des termes que je ne connais pas » en kinyarwanda, avait tenté d’expliquer l’universitaire lors de sa première présentation devant un juge, le 2 février 2012. Débouté en première instance, il avait saisi l’instance d’appel. Mais toujours en vain. La justice rwandaise a décidé de mener le procès en langue nationale. Mais il n’empêche que l’accusé s’exprime souvent, devant ses juges de la Haute Cour, dans un cocktail de kinyarwanda et de français, alors que l’autre côté de la barre, le procureur ne se prive pas de recourir parfois à un mélange de kinyarwanda et d’anglais. « Il ne faut pas sortir le discours de sa langue »Mugesera, qui était recherché par la justice rwandaise depuis 1995, est notamment accusé d’incitation à commettre le génocide des Tutsis de 1994, à travers un discours en langue rwandaise prononcé dans le Nord du Rwanda, en novembre 1992, lors d’un meeting de son parti, le MRND, alors parti présidentiel. Pour l’accusation, le souhait de Mugesera d’être jugé dans une langue étrangère constituait un choix stratégique. « Il y a dans, ce discours en kinyarwanda, des expressions et des insinuations dont le sens se perd si le texte est traduit dans une autre langue ; il ne faut pas sortir ce discours de sa langue », avait déclaré en mai dernier à l’Agence Hirondelle, le procureur général du Rwanda à l’époque, Martin Ngoga. A l’époque de ce discours présenté par l’accusation et par de nombreux experts comme un appel au génocide des Tutsis, Mugesera donnait des cours de Linguistique à l’Université nationale du Rwanda (UNR) et était vice-président du MRND pour la préfecture de Gisenyi (Nord), région natale et fief du président Juvénal Habyarimana.Au même moment, Munyagishari était, pour sa part, secrétaire général du MRND pour la commune de Rubavu – qui abritait le chef-lieu de la préfecture de Gisenyi- et président de l’aile jeunesse du parti, les fameux Interahamwe, pour toute la préfecture. Accusé notamment de génocide pour avoir, selon l’accusation, entraîné et armé ses Interahamwe, préparé et dirigé leurs attaques meurtrières à Gisenyi, Munyagishari fut également instituteur et arbitre national de football au Rwanda."Je ne comprends pas le kinyarwanda"Munyagishari a donné le ton dès sa remise au gouvernement rwandais dans la soirée du 24 juillet dernier à l’aéroport international de Kigali. « Je ne comprends pas ce que vous dites. Je ne comprends pas le kinyarwanda », a-t-il lancé aux autorités rwandaises qui lui posaient leurs toutes premières questions. Lors de sa première comparution devant un juge, le 4 août dernier, il a de nouveau affirmé ne pas comprendre le kinyarwanda, ajoutant, en prime qu’il n’était ni Hutu ni Tutsi, mais citoyen de la République démocratique du Congo (RDC) dont il réclame aujourd’hui une visite consulaire. «Munyagishari comprend le kinyarwanda. Il est né au Rwanda, a étudié au Rwanda, a travaillé au Rwanda et a eu d’ailleurs à comparaître et témoigner en kinyarwanda devant un tribunal rwandais », a réagi le procureur Ndibwami Rugambwa. Le représentant du ministère public a sorti un jugement de 1982 devant la Cour d’appel de Ruhengeri (Nord du Rwanda) dans lequel Munyagishari, alors accusé de viol, s’était défendu en langue rwandaise. Après avoir entendu ces arguments, la chambre a décidé de tenir le procès en kinyarwanda qui est à la fois langue nationale et langue officielle. Le Français et l’Anglais sont aussi langues officielles.Lors des audiences postérieures, les avocats de Munyagishari ont demandé un interprète pour leur client si son procès devait se dérouler en kinyarwanda. Déboutée, la défense a fait appel, arguant que la chambre avait rendu sa décision sans lui avoir donné l’occasion de présenter ses arguments. Les joutes en sont encore là. Et, en conséquence, la date de l’ouverture du procès sur le fond n’a pas encore été fixée.ER