La Cour pénale internationale (CPI) doit élargir ses enquêtes sur les violences post-électorales de 2010 à 2011 en Côte d'Ivoire pour inclure les violations commises par les fidèles du président Alassane Ouattara, déclare Human Rights Watch dans un rapport publié mardi.
Depuis 2011, La Procureure de la CPI Fatou Bensouda enquête sur le conflit qui a éclaté après que l'ancien président Laurent Gbagbo a refusé de reconnaître sa défaite face à Ouattara lors des élections de 2010. Cependant, seulement Gbagbo et ses fidèles ont été inculpés à ce jour par la CPI pour des crimes commis pendant les violences post-électorales qui ont fait au moins 3.000 morts.
Le rapport de HRW indique également que, pour améliorer l'impact de ses enquêtes, les responsables de la CPI doivent atteindre un ensemble plus élargi des victimes et des communautés locales.
Elizabeth Evenson est conseillère juridique senior auprès de la division Justice internationale à Human Rights Watch. Elle a parlé à JusticeInfo.Net à propos du rapport.
JusticeInfo.Net: Le rapport dit qu'il ya eu des "faux pas" dans l'approche de la CPI en Côte d'Ivoire. Quels « faux pas »?
Elizabeth Evenson: D'abord, le Bureau du Procureur, même s’ il dit depuis le début qu'il enquêterait sur toutes les parties de la crise post-électorale (et des abus ont été commis par toutes les parties dans ce conflit 2010/2011), a décidé de focaliser d'abord ses enquêtes sur les crimes présumés commis par les forces associées à l'ancien président, Laurent Gbagbo. Il y a une certaine logique à cette décision. Ils nous ont dit qu'ils étaient en mesure d'évaluer les preuves recueillies à Abidjan, que Gbagbo était déjà en détention, et la logistique aurait été beaucoup plus lourde si la CPI avait dû mener d'autres enquêtes à ce moment-là. Mais malheureusement, cette décision initiale de se concentrer sur les forces pro-Gbagbo persiste depuis plusieurs années. Cela veut dire que les seuls cas qui sont ouverts par la Cour concernent une seule partie du conflit. Cela a été vraiment le premier faux pas et le résultat a été prévisible. L’opinion est devenue polarisée, les gens pensent que la CPI est biaisée dans son travail car elle n’enquête que d’un côté. Plus fondamentalement, cela veut dire aussi que les victimes d'abus commis par l'autre côté, ceux qui sont proches de l'actuel président Alassane Ouattara, n'ont pas eu accès à la justice devant la CPI.
JusticeInfo.Net: Et les victimes en sont les premières victimes?
EE: Ce que notre rapport étudie, c’est la signification de ce biais, parce que la Cour a d'autres responsabilités importantes, et c’est ce qui est au coeur de ce rapport. La Cour doit être accessible, ce qu’elle fait doit avoir un sens pour les victimes et les communautés dans le pays où la Cour travaille comme en Côte d'Ivoire. Les juristes de la Cour ont la responsabilité très importante de fournir des informations au public et fournir des informations spécifiques aux victimes sur leurs droits. C’est le deuxième « faux-pas ». Essentiellement, ces autres acteurs de la Cour ont choisi l’approche étroite de l'Accusation comme justification pour avoir leur propre approche limitée.
JusticeInfo.Net: Donc vous dites que la racine du problème est le fait que les poursuites ont été unilatérales, et que cela a été exacerbé par le manque de ressources?
EE: Je pense que c’est une façon très juste de le dire. Il est possible que le Greffe de la CPI aurait pu prendre des décisions différentes, mais ils ont eu un rôle vraiment limité en n’ayant personne pour faire de la sensibilisation sur le terrain (jusqu'en octobre 2014) et cette limite a rétréci leur champ d'action. Cela est apparu comme une approche très sélective de l'accusation, et ces programmes de sensibilisation très étroits ont aggravé ce sentiment de sélectivité. Et la Cour ne s’est pas donnée les moyens de travailler avec cette opinion très polarisée, encore moins de la changer.
JusticeInfo.Net: Les relations entre le gouvernement d'Alassane Ouattara et la CPI n'ont pas été faciles. Par exemple, le gouvernement a refusé de remettre Simone Gbagbo à la CPI. Quelle rôle cette décision a-t-elle joué ?
EE: Tout à fait, mais notre recherche montre que cela n’est pas apparu comme une limitation significative sur ce que la Cour pourrait faire, par exemple, dans son travail de sensibilisation. Cette relation entre le gouvernement et la CPI n'a pas, comme vous le dites, été sereine, et le refus de remettre Simone Gbagbo a marqué ce processus. Mais ce point n'a pas été soulevé dans nos recherches pour expliquer l'approche étroite des travaux de sensibilisation et la participation limitée des victimes. La question concerne plus leurs ressources limitées, et leurs choix en utilisant ces ressources.
JusticeInfo.Net: Votre rapport se penche sur la Côte d'Ivoire, mais n’y a-t-il pas des leçons pour la CPI applicables dans d'autres pays ?
EE : Il y a eu un problème similaire en République Démocratique du Congo, très tôt dans l'histoire de la CPI qui ne s’est penchée que sur une des parties du conflit, avant d’aller voir de l'autre côté après un long délai dans le conflit en Ituri. Cela a créé les mêmes problèmes de perception que nous avons vus en Côte d'Ivoire. En Libye actuellement, les seuls cas ouverts sont les cas contre des fidèles de Kadhafi. Pendant ce temps il y a eu des crimes commis par les milices pendant la Révolution et il y a toujours des crimes très graves commis en Libye. Donc, la leçon principale est que les juristes de la Cour doivent vraiment mettre l’accent sur ce que cela veut dire de rendre une justice qui ait un sens, qui soit accessible pour les victimes et les communautés affectées. Il y a aussi des leçons spécifiques pour le Bureau de la Procureure, qui doit avoir une approche plus déterminée au début des enquêtes, de quels cas elle s’occupera, de ce qu’ils ont besoin de faire pour que la CPI soit vraiment perçue comme faisant son travail.