Au deuxième jour d’audience, les mains du prévenu ne s’agrippent plus nerveusement aux bords de sa feuille blanche comme au premier jour. Elles restent calmes tandis que son visage s’anime, le front et les yeux s’indignent. La voix est assurée, parfois vindicative. Appuyant ses réponses d'un mouvement de tête régulier, il interpelle de l'index le ciel ou ses contradicteurs, qu'il se retient difficilement d'interrompre.Les interrogatoires du premier jour sur ses variations patronymiques l'avaient agacé.
Né Safari Senyamuhara en 1959, il a été rebaptisé Pascal à cinq ans, puis a troqué son patronyme pour Simbikangwa au collège, afin d'échapper à la discrimination qui, selon lui, frappait les gens du Nord. Pascal Simbikangwa est le nom sous lequel tout le monde semble le connaître au Rwanda. Il y a eu aussi un David, et des trafics de faux papiers, qui lui ont valu d’être arrêté fin 2008 à Mayotte. La clarté n’est pas sa plus grande qualité, et l’enquête de personnalité présentée mercredi à la cour comporte certaines ombres. Celles d'abord d’un père Hutu et d’une mère Tutsie décédés, comme quatre de ses huit frères et sœurs – l’une aurait été « assassinée » après que l’accusé ait donné son adresse pour une demande d’asile. Depuis, il protège son entourage. L’enquêtrice n’a pas pu rencontrer son frère Bonaventure, bien qu'il réside en France. Mais Pascal Simbikangwa veut bien l’« inviter à passer (à la barre), si M. le président le souhaite ». « C’est à vous de décider », réagit le magistrat. L'accusé ne déclare que deux vrais amis. Un Hutu vétérinaire et un Tutsi vendeur de pneumatiques, que l’enquêtrice n’a pu interroger. Pas plus que son épouse, une belle Tutsie qui lui a donné sa fille Marie Merci, le 3 mars 1987. « L’être le plus cher de sa vie », a-t-il confié à l'enquêtrice venue présenter à la cour son rapport. « Je n’aime pas beaucoup les gens, j’aime la solitude », a-t-il ajouté au cours de leur seconde rencontre à la prison de Fresnes. L’enquête de personnalité repose dès lors entièrement sur deux sources : le prévenu et sa sœur Constantine, jointe par téléphone au Canada. Constantine décrit un homme courageux, singulièrement généreux avec sa famille. C’est lui qui a soutenu ses frères et sœurs, leur a permis d’étudier, quand leur père « dilapidateur » a pris sa seconde épouse. Un parcours scolaire brillant lui permet d’entrer à 18 ans à l’école supérieure militaire et, à 27 ans, dans la garde présidentielle. Sportif de haut niveau, bon tireur, Pascal Simbikangwa est un commando chevronné lorsque son chauffeur fait une sortie de route, en 1986. L’accident le laisse paraplégique. L’enquêtrice de personnalité décrit un battant, qui « en sort grandi» révélant « une personne aux assises identitaires fortes ».Le guerrier diminué a toujours aimé lire – il cite « Lafontaine, Clausewitz, Sun Yat Sen ». Après son accident, il écrit deux livres : « L’homme et sa croix », récit dans lequel il avoue sa fascination pour le président Juvénal Habyarimana ; et « La guerre d’Octobre », sur la première attaque du Front patriotique rwandais (FPR) et sa guérilla d'infiltration. « Le grand père de mon père et celui d’Habyarimana étaient frères », précise-t-il à l'audience. « Habyarimana n’était pas un grand démocrate comme Hollande, lance-t-il, mais il voulait que les Hutus et les Tutsis fassent une nation ensemble. » « Je suis un démocrate et un patriote. » Transféré dans le civil deux ans après son accident, le capitaine devient directeur du Service central de renseignement (SCR). « C’est uniquement un titre dû à mon grade, car j’étais en réalité un simple agent chargé d’un petit réseau de cinq informateurs et de surveiller la presse. » Jusqu’à l’arrivée du multipartisme en 1992, qui a fait de lui un « chômeur » rangé, présente-t-il comme ligne de défense.
Le fonctionnaire conserve son traitement jusqu’en 1994 et une résidence de fonction dans le quartier de Kiyovu, à Kigali, où l’accusation le soupçonne d’avoir armé des miliciens durant le génocide. Ce n’est pas par esprit de vengeance, assure-t-il, mais bien parce qu’il croit au « pluralisme médiatique », qu’il investit 100.000 francs rwandais dans la radio des Mille Collines, qui incitera par la suite les Hutus à la haine anti - Tutsi. Une générosité qui le place dans le peloton des 26 plus gros contributeurs de la RTLM, pointe l’avocat général. « Vous considériez-vous comme un dignitaire ? », l’interroge un avocat des parties civiles. « Je pense que j’étais parmi les autorités, même si je n’en avais pas l’exercice », résume Pascal Simbikangwa.FP/ER