Ambassadeur itinérant des Etats-Unis pour les crimes de guerre depuis août 2009, Stephen Rapp quitte ces fonctions le 7 août. Avant d'être nommé à ce poste, M. Rapp avait été Chef des poursuites au Bureau du procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), puis Procureur du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL).
Dans une interview exclusive avec JusticeInfo.Net, le juriste américain revient sur la contribution de son pays à la justice pénale internationale. Un domaine dans lequel il affirme que l'administration Obama a pris le contrepied de son prédécesseur George W.Bush, notamment en ce qui concerne les relations avec la CPI.
Stephen Rapp a été joint le 20 juillet dernier à Dakar alors qu'il assistait à l'ouverture du procès de l'ancien président tchadien Hissène Habré poursuivi pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et torture.
JusticeInfo.Net: Selon le site foreignpolicy.com, vous avez été frustré dans votre lutte pour la concrétisation des idéaux de l'administration Obama?
Stephen Rapp : Je pense que j'ai eu une grande réussite, de même que le président Obama, en matière des droits de l'homme et de responsabilité (accountability), particulièrement en changeant notre stratégie d'hostilité à la CPI et en soutenant la CPI, et en soutenant la justice au niveau national, parfois avec une participation internationale comme ici et maintenant au Sénégal, dans l'affaire Habré. C'est un processus qui bénéficie du soutien des Etats-Unis avec une contribution annoncée par le président Obama lors de sa visite ici il y a deux ans. Ainsi donc, j'ai pu compter sur un soutien de ce niveau. (…) Nous sommes dans un environnement de défis dans le monde avec les conflits en cours, particulièrement les résultats du Printemps Arabe et la guerre en Syrie qui a fait 230.000 morts sans qu'il soit possible de traduire en justice les auteurs de ces crimes. Nous n'avons aucun mécanisme international ou hybride pour rendre justice dans ce dossier et nos efforts en vue de déférer le dossier au Conseil de sécurité de l'ONU ont été bloqués par le veto de la Russie et de la Chine, donc des difficultés persistent, comme pour les arrestations (des présumés auteurs) des crimes commis au Darfour, au Soudan, en dépit d'une résolution du Conseil de sécurité de 2005 renvoyant cette affaire devant la CPI.
Mais il y a des régions où nous avons réussi, particulièrement en traduisant en justice (le seigneur de guerre congolais) Bosco Ntaganda après sa reddition à Kigali en 2013. Nous avons travaillé avec le Rwanda et d'autres parties pour son transfèrement à La Haye dans un délai de 4 jours et demi et ça a été la même chose avec Dominic Ongwen (un leader du groupe rebelle ougandais de la LRA) dont la reddition a été le résultat de notre soutien actif dans la région.
Par ailleurs, on a vu les Etats-Unis à l'avant-garde de nombre de commissions internationales d'enquête, comme pour le Sri-Lanka où nos efforts ont contribué, je crois, à l'avènement d'un gouvernement qui est moins enclin à refuser de rendre justice pour le passé.
La Corée du Nord reste une situation très frustrante mais dans laquelle la communauté internationale est unie pour soulever des questions de respect des droits humains ainsi que des questions relatives à la prolifération nucléaire. Même dans le cas de la Syrie, à défaut d'un tribunal, nous avons activement soutenu la commission du Conseil des droits de l'Homme, et, en plus de ça, nous soutenons l'idée de centres de documentation avec la participation de groupes nationaux (…) Comme nous l'avons vu dans l'affaire Habré, lorsque vous avez des éléments de preuve, la pression et le soutien peuvent suivre pour mener à la justice. Et c'est le signal que nous envoyons partout dans le monde.
JusticeInfo.Net : Que signifie pour vous le procès d'Hissène Habré ?
SR: C'est un exemple de comment on peut mettre en place un tribunal mixte dans une région, avec succès. Ici, vous avez le Sénégal qui est parvenu à un accord avec l'Union africaine et qui a ratifié un traité établissant une cour internationalisée comme celle que nous avons eue en Sierra Leone, mais avec une part plus importante de système juridique national que dans le cas sierra léonais. Mais avec toujours les mêmes bénéfices d'une juridiction internationale, la possibilité de poursuivre des Chefs d'Etats ou d'anciens Chefs d'Etat, la possibilité d'appliquer le droit international tel qu'il était en vigueur à l'époque (…) Vous avez là ces avantages que vous ne retrouvez pas dans une affaire purement nationale.
JusticeInfo.net: Pensez-vous donc que le procès d'Hissène Habré puisse servir d'exemple pour d'autres pays?
SR: Nous pensons, par exemple, au Soudan du Sud, où d'horribles crimes ont été perpétrés, en particulier depuis décembre 2013 dans la guerre civile là-bas. Nous avons lu, par exemple, des rapports récents sur des viols massifs et d'horribles crimes contre les enfants lors de combats dans la région de Unity State, où des enfants ont été ciblés en raison de leur appartenance ethnique, des filles violées et brûlées vives. Ces crimes doivent être jugés. Le Soudan du Sud n'est pas un Etat partie à la CPI, il se trouve dans une région où la CPI a rencontré des difficultés - avec le dossier soudanais, mais aussi le Kenya. Trouver un tribunal pour juger ces crimes, mener des enquêtes et des poursuites indépendantes sur ce qui s'est passé des deux côté dans le conflit au Soudan du Sud, en termes d'atrocités, peut ainsi être fait dans le cadre d'un tribunal mixte, avec le Soudan du Sud, l'Union africaine et les Nations unies comme partenaires potentiels.
JusticeInfo.net: Quelle est le succès dont vous avez été le plus fier durant vos six ans à ce poste?
SR : Je pense d'abord à notre engagement, d'une manière positive, aux côtés de la Cour pénale internationale, où nous avons fermé la page de la période de l'administration Bush, ou du moins le premier mandat de Goerge W. Bush, à l'époque où l'on voulait tuer la Cour dans le berceau. Sous l'administration Obama, nous nous sommes positionnés en observateurs et nous avons examiné notre législation qui nous limitait jusqu'à un certain niveau (une loi votée en 2002), mais nous permettait d'aider la Cour au cas par cas.
Je me suis rendu à La Haye, peut-être 40 ou 50 fois pour des réunions, nous nous sommes ainsi employés étroitement à aider la Cour à réussir dans sa mission. Et l'une des voies qui nous ont permis de faire cela c'est notre Programme « Rewards for Justice » en vigueur depuis 1998, qui prévoit des récompenses pouvant atteindre 5 millions de dollars pour une information conduisant à l'arrestation de personnes recherchées par les Tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Nous avons persuadé notre Congrès en 2012 d'étendre ce programme pour y inclure les fugitifs de la CPI (…) Et, grâce aussi à une intense diplomatie, cela a contribué à la reddition de Bosco Ntaganda et Dominic Ongwen.