Le 30 novembre de cette année-là, Laurent Gbagbo débarque dans le froid de La Haye en chemisette et sandales. « C'est dans cette tenue pour le moins inadaptée, que celui qui fut le premier magistrat de son pays pendant dix ans, arrive au petit matin à Scheveningen », écrit François Mattei. Le 24 novembre à Paris, les présidents ivoirien et français, Alassane Ouattara et Nicolas Sarkozy, ont tenu une réunion secrète avec Luis Moreno Ocampo, alors procureur de la Cour. « Gbagbo est tombé, écrit le journaliste, il s'agit de finir le travail ». Gbagbo raconte la suite. Au tribunal de Korhogo, dans le nord de la Côte d'Ivoire où il est incarcéré depuis son arrestation six mois plus tôt par les hommes d'Alassane Ouattara et les forces françaises, « un magistrat se précipite dans la salle où nous nous trouvons et nous annonce que la CPI demande mon transfert à La Haye (…) Moi, je savais que les dés étaient pipés, et j'ai regardé toute cette minable comédie d'un oeil résigné ». L'audience est expédiée. « Gbagbo est dans la boîte » ponctue François Mattei. Il pourrait y rester longtemps. Le 12 juin, les juges ont confirmé les charges de crimes contre l'humanité portées par le procureur, ce que l'ouvrage ne relate pas. Il revient en revanche largement sur la première victoire judiciaire de Laurent Gbagbo, il y a un an. Les juges avaient demandé à l'accusation de revoir sa copie avant de décider du renvoi de l'accusé en procès. Entre temps, ses demandes de mise en libération provisoire ont toutes échoué. Laurent Gbagbo aurait pu être libéré s'il avait accepté de reconnaître sa défaite à la présidentielle de 2010, apprend-on dans l'ouvrage. Ex- ambassadeur de France en Côte d'Ivoire (2009-2012), Jean-Marc Simon aurait ainsi confié au journaliste que si M. Gbagbo acceptait de reconnaître sa défaite à la présidentielle de 2010, M. Ouattara « pourrait montrer son accord pour la libération et son exil dans un pays d'accueil » en attendant le procès, en accord avec le président burkinabè Blaise Compaore et Paris. « Inutile de transcrire la réaction de Laurent Gbagbo quand je lui ai relaté cette extravagante idée. Il a regardé au plafond en se prenant les mains, avec l'air navré de celui que l'on sous-estime. » Les deux auteurs relatent « l'engrenage fatal » qui a conduit Gbagbo à La Haye. Les ambitions de la France en Afrique, les résistances d'un chef d'Etat mal aimé par Paris, la tentative de coup d'Etat de 2002 par les partisans d'Alassane Ouattara, qui a durablement scindé le pays en deux, les accords de Marcoussis, en 2004. « A Marcoussis, raconte M. Gbagbo, la France m'a fabriqué une opposition armée, avec laquelle on m'a demandé de gouverner ». C'était « un coup d'Etat en gants blancs », dénonce le professeur d'histoire. En 2010, la communauté internationale valide la victoire d'Alassane Ouattara dans des circonstances controversées. Le pays sombre dans la violence. « Restait à apposer le tampon de la justice internationale » écrit François Mattei. Une justice dévoyée par les choix du procureur que l'écrivain peut aisément fustiger. En Côte d'Ivoire, l'accusation a refusé de s'emparer des crimes commis depuis 2002 et dans sa thèse contre Laurent Gbagbo, elle a ôté toute référence aux crimes des partisans d'Alassane Ouattara lors des violences de 2010. Comme si elle craignait d'affaiblir sa thèse contre Laurent Gbagbo et s'aliéner la coopération d'Abidjan dans ce dossier. L'ex- chef d'Etat assure que ses avocats « ont montré le parti pris du procureur qui va avec le vent que soufflent les grandes puissances. » SM/ ER