Mathieu Ngudjolo aura tenté tous les recours pour ne pas fouler de nouveau le sol de la République démocratique du Congo (RDC). Mais c’est menotté et encadré de six policiers que le premier acquitté de la Cour pénale internationale (CPI) a été embarqué dans un vol pour Kinshasa via Bruxelles le 11 mai. Comme l’avaient fait les Pays-Bas et le Kenya avant elle, la Belgique a retoqué une ultime demande d’asile politique. « Mathieu Ngudjolo est considéré comme un criminel de guerre, regrette maître Saskia Ditisheim, jusqu’au bout, il aura été traité comme un condamné ».
Enrôlé dans l’armée congolaise au grade de colonel suite à l’accord de paix de 2006, l’ex milicien avait été arrêté et transféré à la CPI en février 2008. La Cour l’accusait de crimes contre l’humanité et crimes de guerre pour le massacre de février 2003 à Bogoro, un village de l’est de la RDC où Kigali et Kampala se disputent les richesses minières du pays par milices interposées. Au cours de son procès, le détenu avait accusé, preuves à l’appui, le régime du président congolais Joseph Kabila d’avoir planifié l’attaque pour reprendre des territoires alors aux mains des ougandais. « Je suis un militaire et c’est ma crainte », disait-il à Justice Info quelques jours avant son expulsion, depuis le centre de rétention de l’aéroport d’Amsterdam. « Les autorités congolaises savent que j’ai fait des demandes d’asile. En arrivant au Congo, je serai arrêté pour désertion. Et pas que ça ! Au cours de mon procès, j’ai déposé des documents secrets-défense », rappelle-t-il. Des faits pour lesquels il risque la peine de mort, comme le souligne l’Aprodhec. Dans un communiqué daté du 7 mai, cette association de la diaspora congolaise en Belgique a menacé « d’engager des poursuites (…) contre toute personne physique ou morale suspectée de complicité de meurtre » si M. Ngudjolo venait à disparaitre.
Mais les craintes de l’acquitté n’ont ému ni les autorités néerlandaises, ni la CPI. Puisqu’il a été acquitté, la CPI assure n’avoir plus aucune responsabilité, mais a pourtant coopéré sans relâche avec les Pays-Bas dans l’expulsion du congolais. Les textes de la CPI prévoient que le transfert d’un acquitté hors des Pays-Bas doit se faire « en tenant compte de son avis », mais la Cour a néanmoins préféré se baser sur les garanties de Kinshasa, consignées dans un rapport confidentiel. Des garanties pourtant offertes par un gouvernement dont M. Ngudjolo dit craindre les représailles. Pour le porte-parole de la Cour, Fadi El Abdallah, « la sécurité de M. Ngudjolo sera assurée en RDC » et « il n’y a pas de risques liés à sa procédure devant la CPI ». Les autorités néerlandaises se sont-elles aussi basées sur ce rapport pour motiver leur refus de demande d’asile. Les Pays-Bas ne souhaitent pas voir la CPI devenir une porte d’entrée sur leur territoire. En outre, comme pour la CPI, les néerlandais ne veulent pas ternir leurs relations avec Kinshasa. Du côté de ses avocats, c’est l’incompréhension. « Après deux mois, il disparaîtra et sera poignardé, et l’unité de protection des témoins de la Cour n’aura aucun pouvoirs. Une enquête sera diligentée par les autorités congolaises, dont on aura sans doute jamais le résultat », assure, amer, maître Flip Schüller.
De son côté, Human Rights Watch demande à la Cour et aux néerlandais de « surveiller la situation de M. Ngudjolo sur le long terme pour éviter les représailles ». Fin avril, dans un courrier au président de l’Assemblée des Etats Parties Sidiki Kaba, maître Jean-Pierre Kilenda avait pourtant demandé qu’une « solution de bon sens » soit trouvée, pour que l’ex accusé « ne soit pas sacrifié sur l’autel des considérations étrangères au droit ». Mais plus de vingt ans après sa renaissance dans les années 1990, la justice internationale n’a toujours pas trouvé de solution pour régler le sort des acquittés. A Arusha, huit acquittés et trois condamnés ayant purgés leur peine résident ensemble dans une maison louée aux frais de l’Onu dans l’attente d’un pays d’accueil, malgré les négociations entreprises avec plusieurs pays où résident leurs familles. Contrairement aux autorités néerlandaises, le pouvoir tanzanien ne les a pas expulsé vers le Rwanda et tolère leur présence sur son sol.
SM/FS