Génocide au Rwanda: non-lieu requis pour le prêtre visé par la première plainte en France

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Vingt ans après le début de l'enquête, le parquet de Paris a requis mercredi un non-lieu pour le prêtre Wenceslas Munyeshyaka, premier Rwandais visé par une plainte en France pour le génocide de 1994, tout en soulignant son rôle "trouble" pendant cette période.

Âgé de 57 ans, le prêtre, accueilli en France peu après le génocide avec l'aide de l'Église et qui officie aujourd'hui à la paroisse de Gisors (Eure), n'en a toutefois pas terminé avec cette affaire, l'une des plus emblématiques parmi les vingt à trente dossiers encore instruits à Paris. Il appartient désormais aux juges d'instruction du pôle spécialisé dans les crimes contre l'humanité d'ordonner ou non son renvoi devant une cour d'assises.

Pendant le génocide, durant lequel 800.000 personnes, principalement de la minorité tutsi, ont été massacrées entre avril et juillet 1994, selon les chiffres de l'Onu, le prêtre était vicaire de la paroisse de la Sainte-Famille à Kigali. Il s'agissait de l'une des plus grandes paroisses de la capitale, où furent accueillis des milliers de civils.

L'acte d'accusation du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui s'était dessaisi en 2007 au profit de la justice française, fait de lui un bourreau, proche des autorités génocidaires. Le procureur du TPIR lui reprochait d'avoir participé à des réunions planifiant des massacres et d'avoir livré des civils tutsi aux milices hutu, les Interahamwe. Il était aussi accusé d'avoir lui-même abattu trois jeunes Tutsi, encouragé ou commis des viols.

En 2006, un tribunal militaire rwandais l'avait condamné en son absence à la prison à vie.

- "Rôle trouble" -

Le parquet de Paris justifie le non-lieu essentiellement par une insuffisance de charges précises.

Certes, son "rôle (...) a pu susciter de très nombreuses interrogations en raison, notamment, de son comportement mais aussi (de ses) propos", mais "l'instruction n'a pas permis, au final, de corroborer de façon formelle des actes précis et certains (de sa) participation active" aux massacres, comme auteur ou complice, explique dans un communiqué le procureur de la République de Paris, François Molins.

"Le rôle certes trouble de Wenceslas Munyeshyaka dans le génocide ne suffit pas à caractériser l'infraction pénale de complicité", ajoute le procureur, en précisant que "les actes constitutifs" doivent être effectués de "façon positive et non par abstention".

Le prêtre, qui était connu pour circuler armé et protégé par un gilet pare-balles dans sa paroisse, a toujours clamé son innocence, assurant avoir fui Kigali car les miliciens hutu lui "reprochaient d'avoir protégé les Tutsi".

"Il a fait tout ce qu'il a pu pour accueillir 18.000 personnes à la Sainte-Famille durant cette période épouvantable et il a plus ou moins bien, mais plutôt bien que mal, géré les ravitaillements, les protections et les évacuations", a déclaré à l'AFP son avocat, Jean-Yves Dupeux.

"En l'état du dossier, tel que nous l'analysons, les charges sont suffisantes pour le renvoyer aux assises", a au contraire réagi l'avocat de la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH), partie civile dans le dossier, Emmanuel Daoud.

S'il était confirmé, un non-lieu risquerait de jeter un nouveau froid dans les relations tumultueuses entre la France et le Rwanda. Le président rwandais Paul Kagame, arrivé au pouvoir après le génocide, a accusé à plusieurs reprises l'armée française d'avoir aidé le pouvoir hutu pendant les massacres, déclenchés par un attentat contre l'avion du président Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994.

La France a toujours refusé d'extrader des génocidaires rwandais présumés qui ont trouvé refuge sur son territoire, la Cour de cassation considérant de façon constante que le génocide n'était pas défini en 1994 dans le code pénal rwandais.

Dans le premier procès à Paris en lien avec les massacres, l'ancien officier de la garde présidentielle Pascal Simbikangwa a été condamné en 2014 à 25 ans de réclusion criminelle pour génocide et complicité de crimes contre l'humanité. Il a fait appel.

Attendu en 2016, le second procès vise les deux anciens bourgmestres Tito Barahira et Octavien Ngenzi.