Chine : un défilé de la victoire à la gloire du Parti, quitte à bousculer l'Histoire

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Sa famille était au coeur du combat pour repousser l'envahisseur japonais hors de Chine durant la Seconde Guerre mondiale. Mais à l'évocation du défilé militaire qui doit célébrer jeudi à Pékin la victoire, le pâtissier TT Chen s'étranglerait presque.

"Je ne considère pas ce défilé comme patriotique mais comme un étalage d'ignorance", déclare cet artisan de 69 ans, dont le père et les oncles ont servi à haut niveau dans le gouvernement et l'armée nationalistes qui ont combattu les forces japonaises.

Dans tout le pays, les écrans de cinéma et de télévision débordent d'images d'envahisseurs japonais à l'approche du défilé, spectaculaire point d'orgue de la célébration par le régime communiste du 70e anniversaire de la capitulation japonaise.

Le héros indiscuté de ce "jour de la Victoire" nouvellement décrété et des multiples productions télévisées et cinématographiques qui l'accompagnent, est le Parti communiste chinois (PCC) lui-même, artisan autoproclamé d'une victoire remportée pour l'essentiel par d'autres.

Pour le président Xi Jinping, chef des armées, le défilé - 12.000 hommes de troupes et leur matériel, des chars aux missiles en passant par 200 avions qui doivent survoler la place Tiananmen - confortera son statut de chef du parti qui aura sauvé la Chine de l'invasion japonaise, même si, pour les historiens, la vérité est tout autre.

De 15 à 20 millions de Chinois ont péri durant les huit années (1937-1945) d'occupation et de combats contre une armée impériale nippone mieux équipée, qui s'est livrée en outre à d'innombrables crimes de guerre, à l'origine d'un vif ressentiment encore aujourd'hui.

- Le rôle occulté des nationalistes -

Les documents officiels remis à la presse pour le défilé décrivent le PCC comme le "leader" de la résistance chinoise et la guérilla qu'il a menée comme "la principale forme de guerre contre le Japon".

Mais "la majorité des grandes batailles classiques ont été livrées par les forces alliées aux nationalistes" du général Tchang Kaï-chek, l'ennemi juré des communistes, objecte Rana Mitter, historien de cette période à l'Université d'Oxford.

Et "l'aide internationale des Alliés a été le facteur décisif pour la victoire", rappelle-t-il.

Une vérité connue de la hiérarchie communiste. Li Nanyang, fille de l'ancien secrétaire de Mao Zedong, Li Rui, aujourd'hui âgé de 98 ans, déclarait ainsi cette semaine à l'AFP: "D'après le récit de mon père, il est clair que la guerre contre le Japon n'a pas été dirigée par le Parti communiste".

Réfugié avec Mao dans la base communiste de Yan'an, au nord de la Chine, son père "n'a rien fait pour attaquer directement les Japonais", assure sa fille.

Le PCC, qui censure toute discussion publique sur l'Histoire, a commandé pour l'occasion une production considérable de films, documentaires et ouvrages glorifiant le rôle des communistes.

Mardi, le président Xi Jinping a toutefois reconnu devant un politicien taïwanais en visite que nationalistes et communistes avaient "coopéré et s'étaient coordonnés" durant la guerre, apportant "tous les deux une contribution significative à la victoire".

Des vérités "toujours peu connues du public chinois", a regretté Chang Li, historien taïwanais de l'Academia Sinica.

- 'Couronnement' pour Xi Jinping ?-

Le défilé de jeudi doit renforcer la légitimité du PCC "en mettant en scène cette idée que sans le Parti communiste, il n'y aurait pas de Chine nouvelle", estime Willy Lam, expert de la Chine à l'Université de Hong Kong.

"Xi Jinping et le Parti communiste veulent s'approprier le mérite d'avoir vaincu les Japonais. Même si un gros point d'interrogation plane sur cette prétention", juge-t-il.

"Un défilé militaire est un rituel politique solidement établi. Tant qu'un nouveau dirigeant suprême n'y a pas souscrit, il ne peut pas être l'homme fort indiscutable", analyse encore Willy Lam, qui y voit un "couronnement" pour le président chinois, arrivé au pouvoir en 2012.

Après la victoire de 1945, communistes et nationalistes avaient repris la guerre civile et, aidé par l'URSS, le PCC a conquis le pouvoir en 1949, tandis que les nationalistes se réfugiaient à Taïwan.

Taipei a condamné le défilé pékinois comme une distorsion de l'histoire.

Le pâtissier TT Chen est arrivé à Taïwan à l'âge de trois ans avec sa famille - l'une des "quatre grandes familles" du gouvernement nationaliste - avant de retourner en Chine et d'ouvrir sa pâtisserie à Pékin il y a une dizaine d'années.

Comme tous les commerces de la capitale, il devra fermer boutique durant le défilé. Pour lui, "tout cela est au service de la propagande communiste".