Moins d'une semaine avant la reprise du procès du président tchadien déchu Hissène Habré à Dakar, son successeur Idriss Deby Itno, qui l'a renversé après l'avoir servi, est visé par une plainte devant le même tribunal spécial africain, une procédure vouée à l'échec, selon des juristes.
Les avocats français du chef de l'Etat tchadien ont dénoncé "une plainte fantasque", estimant dans un communiqué jeudi qu'elle n'avait "d'autre objectif que d'entraver le déroulement de ce procès et de tenter de porter atteinte à l'image du président Idriss Deby Itno".
L'avocat sénégalais Mbaye Jacques Ndiaye a annoncé à la radio française RFI avoir déposé la plainte mercredi au nom de "victimes tchadiennes" auprès des Chambres africaines extraordinaires (CAE), tribunal spécial créé en vertu d'un accord entre le Sénégal et l'Union africaine (UA) et devant lequel doit reprendre lundi le procès de M. Habré.
Aux termes de cet accord et d'après ses statuts, cette juridiction est compétente pour les "crimes et violations graves du droit international" qui auraient été "commis sur le territoire tchadien au cours de la période du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990", soit sous Hissène Habré, réfugié au Sénégal depuis décembre 1990.
La répression de son régime, particulièrement par sa redoutée police politique, la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), aurait fait 40.000 morts, selon les estimations d'une commission d'enquête tchadienne de 1992.
La plainte concerne des "crimes de génocide, crimes de guerre, crimes contre l'humanité et tortures, a affirmé Me Ndiaye.
Interrogé, le tribunal spécial a simplement confirmé le dépôt de la plainte mercredi aux CAE, qui "vise M. Deby", sans autre détail.
- 'Retarder le procès' -
Selon Me Ndiaye, cité par RFI, les faits incriminés "remontent à 1990, juste avant la prise de pouvoir par l'actuel président tchadien. Les plaignants accusent Idriss Deby d'avoir torturé et exécuté des prisonniers de guerre entre Tiné et Abéché (est) alors qu'il était reparti au maquis".
Tombé en disgrâce en 1989, Idriss Deby, ancien chef de l'armée, avait fui au Soudan, d'où il était reparti en 1990 pour chasser Hissène Habré avec l'appui de la France.
M. Deby "a tué, personnellement, des individus. Ce sont des personnes qui ont été torturées, qui ont été exécutées, brûlées à vif et jetées aux animaux sauvages", a accusé l'avocat, reconnaissant ne pas être en mesure d'"évaluer le nombre de victimes" mais citant "deux victimes qui sont au Sénégal", et d'autres "un peu éparpillées à l'étranger".
Aucune source au tribunal spécial n'a pu être jointe pour une estimation du délai dans lequel cette juridiction pourrait se prononcer sur la plainte, jugée par des spécialistes irrecevable en raison des statuts des CAE.
"Les poursuites ne peuvent être mises en mouvement que par le procureur général" de ce tribunal spécial, a affirmé à l'AFP Reed Brody, conseiller juridique et porte-parole de Human Rights Watch (HRW).
"Et de surcroît, la phase d'instruction est terminée. La chambre d'instruction a été dissoute. Cette plainte ne saurait déclencher des enquêtes nouvelles", a ajouté M. Brody, un des principaux enquêteurs de HRW sur le dossier Habré.
Selon un avocat qui suit le dossier ayant requis l'anonymat, Hissène Habré ou son entourage cherchent ainsi à "retarder le procès".
Le procès Habré s'est ouvert le 20 juillet, puis a été ajourné le lendemain au 7 septembre, afin de donner le temps à trois avocats commis d'office pour la défense de prendre connaissance du dossier.
L'ex-président tchadien, qui récuse le tribunal spécial, a refusé de s'exprimer devant lui et a interdit à ses avocats de l'y représenter.
Le 23 juillet, ses avocats avaient soutenu que M. Deby Itno avait été convoqué deux fois en vain par le tribunal spécial, qui avait démenti auprès de l'AFP.
"Ce procès n'aurait pu se tenir sans la détermination du chef de l'Etat, qui en deux années d'une instruction désormais clôturée, n'a jamais été mis en cause", affirment les avocats de M. Deby Itno.
Le 22 juillet, deux ministres tchadiens avaient assuré à Dakar que l'Etat tchadien voulait uniquement "que justice soit rendue" aux victimes du régime Habré, se défendant de tout "règlement de comptes".