Alors que son procès doit reprendre le lundi 7 septembre à Dakar, l’ancien président tchadien se dispute la Une des journaux avec son successeur Idriss Déby, qu’une nouvelle plainte vient de placer au centre de l’actualité.
Hissène Habré est poursuivi pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et torture, devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE), un tribunal spécial créé au sein de la justice sénégalaise pour juger les pires violations du droit international commises au Tchad de 1982 à 1990.
Il doit répondre de dizaines de milliers d’assassinats politiques et de tortures systématiques essentiellement perpétrés par sa tristement célèbre police politique, la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS).
Le procès s'était ouvert le 20 juillet, puis avait été ajourné le lendemain jusqu'au 7 septembre, afin de donner le temps aux avocats commis d'office pour la défense, de prendre connaissance du dossier.
Hissène Habré est le seul accusé dans cette procédure qui est l’aboutissement d’un feuilleton judiciaire de plusieurs longues années d’espoirs déçus pour les victimes.
Mais une plainte, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle contrarie N’Djamena, a été déposée le mercredi 2 septembre devant le même tribunal sénégalo-africain par Maître Mbaye Jacques Ndiaye, du barreau de Dakar, au nom de victimes tchadiennes d’Idriss Deby, vivant, pour la plupart d’entre elles, à l’étranger. Une plainte pour « crimes de génocide, crimes guerre, crimes contre l’humanité et tortures » commis au commis au Tchad en 1990, « avant le 1 er décembre », date à laquelle Déby a renversé son ancien patron, a précisé l’avocat sénégalais cité par RFI.
Maître Ndiaye accuse l’actuel maître du Tchad d'avoir « personnellement (...) commis des actes répréhensibles. Des actes de torture ». « Il a tué, personnellement, des individus. Ce sont des personnes qui ont été torturées, qui ont été exécutées, brûlées à vif et jetées aux animaux sauvages », a-t-il expliqué à la radio française, reconnaissant cependant ne pas être en mesure d' « évaluer le nombre de victimes ».
Une manœuvre téléguidée par Hissène Habré ?
Après avoir été chassé du pouvoir par Idriss Déby, Hissène Habré avait été brièvement accueilli au Cameroun avant de s’établir fin 1990 au Sénégal où il a vécu un exil doré jusqu’à son arrestation fin juin 2013.
Selon de nombreux observateurs, la plainte déposée par Maître Mbaye Jacques Ndiaye est irrecevable. « Les poursuites ne peuvent être mises en mouvement que par le procureur général » des CAE, a expliqué à l’AFP Reed Brody, conseiller juridique et porte-parole de Human Rights Watch (HRW).
« Et de surcroît, la phase d’instruction est terminée. La chambre d’instruction a été dissoute. Cette plainte ne saurait déclencher des enquêtes nouvelles », a ajouté M. Brody, un des principaux enquêteurs de HRW sur le dossier Habré.
Mais l’auteur de la plainte soutient le contraire, même s’il se garde pour l’instant d’entrer dans le détail de son argumentation.
Faut-il y voir une manœuvre dilatoire téléguidée par un Hissène Habré qui sait son combat perdu d’avance ? L’avocat sénégalais veut-il provoquer, ne serait-ce qu’un débat ou un déballage sur le rôle sans doute pas saint d’Idriss Déby sur cette sombre période de l’histoire de son pays ?
Une chose est sûre : la nouvelle plainte a pour le moins provoqué une certaine contrariété à N’Djamena.
Les avocats du chef de l’Etat tchadien ont dû sortir un communiqué, dans lequel ils dénoncent « une plainte fantasque », n’ayant « d’autre objectif que d’entraver le déroulement de ce procès et de tenter de porter atteinte à l’image du président Idriss Deby Itno ».
Le 22 juillet, lors d'une conférence de presse à Dakar, après l’ajournement du procès de Hissène Habré, ce sont les ministres tchadiens de la Communication, Hassan Sylla Bakari et de la Justice, Mahamat Issa Halikimi, qui s'étaient faits les défenseurs de leur chef.
Après avoir décrit Hissène Habré comme « le pire dictateur que l'humanité ait jamais connu », comme « un homme qui pouvait tuer même ses propres parents », le ministre de la Communication avait affirmé qu'Idriss Deby Itno « n'a jamais été associé, ni de près, ni de loin, à la Direction de la documentation et de la sécurité, la machine de répression aujourd'hui en cause ».
Il avait ajouté que le président Déby faisait au contraire partie des victimes du régime Habré. Son collègue de la Justice avait surtout évoqué l’absence de la moindre plainte contre son président.
Juger tous les responsables présumés
Cette fois-ci, il y en a une, devant le même tribunal. Ne restera-t-elle qu’une plainte « pour que l’Histoire sache » ?
Dans un communiqué publié à l’ouverture du procès, le 20 juillet, Amnesty International, qui a longtemps lutté aux côtés des victimes, de concert avec d'autres organisations comme Human Rights Watch (HRW) et la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), regrettait la non-inculpation de l’actuel chef de l’Etat tchadien. « Idriss Deby, n'a pas été inculpé par les Chambres africaines extraordinaires alors qu'il a été chef d'état-major de l'armée sous le régime d'Hissène Habré. Les recherches menées par Amnesty International indiquent que des soldats sous ses ordres pourraient avoir commis des massacres dans le sud du Tchad en 1984 », faisait remarquer l'organisation. « La prochaine étape pour les autorités tchadiennes consiste à veiller à tout mettre en œuvre pour déférer à la justice les responsables présumés des crimes de droit international commis quand Hissène Habré était au pouvoir »,déclarait, dans le communiqué, Gaëtan Mootoo, chercheur sur l'Afrique de l'Ouest à Amnesty International, qui a travaillé sur le Tchad durant la présidence d'Hissène Habré.
Pour ce militant des droits de l'homme, « le Tchad ne pourra rompre avec son passé tragique que s'il fait en sorte de traduire devant des tribunaux civils tous les responsables des très nombreux crimes de droit international et violations des droits humains. S'il ne satisfait pas entièrement à cette exigence, cela reviendra à faire savoir que ces crimes sont effectivement permis».