L'ancien président tchadien Hissène Habré a de nouveau comparu de force lundi, pour entendre l'énoncé des charges, à la reprise de son procès pour crimes contre l'humanité devant un tribunal spécial africain à Dakar, après 45 jours d'interruption.
Comme lors des deux premiers jours du procès, les 20 et 21 juillet, Hissène Habré, qui récuse cette juridiction, a été conduit à la barre par les gendarmes après une suspension de séance, près de deux heures après le début de l'audience, vers 09H00 (locales et GMT).
Ce procès devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE), tribunal spécial créé en vertu d'un accord entre le Sénégal et l'Union africaine (UA), doit servir de test pour la lutte contre l'impunité sur le continent, où la Cour pénale internationale est fréquemment accusée de ne poursuivre que des dirigeants africains.
Toujours vêtu d'un boubou et d'un turban blancs, Hissène Habré a vitupéré la Cour, "organisme illégal, hors la loi" et crié "A bas l'impérialisme!".
"Pour le moment, c'est elle (la Cour, NDLR) qui est chargée de vous juger. Que vous soyez consentant ou pas", lui a rétorqué le président du tribunal, le Burkinabè Gberdao Gustave Kam, avant d'ordonner la lecture de la liste des témoins, perturbée par les interjections de l'accusé et l'expulsion de plusieurs de ses partisans.
"Si Hissène Habré décide à nouveau de choisir le théâtre, une telle attitude ne l'honorera pas", avait déclaré auparavant Me Jacqueline Moudeïna, présidente du collectif des avocats des victimes, estimant que "cela n'arrêtera pas la justice".
Une des parties civiles, Haoua Brahim Faradj, arrêtée à l'âge de 13 ans et qui dit avoir passé quatre ans en détention, dont plusieurs mois pendant lesquels elle a été violée par des militaires, s'est déclarée "très contente de pouvoir parler devant Habré".
"J'ai été soulagée quand j'ai vu qu'il a été amené comme un enfant. Aujourd'hui, il est diminué", s'est-elle félicitée.
- 'Pas écraser une mouche sans son ordre' -
Pendant plus de trois heures, deux greffiers se sont ensuite relayés pour lire l'épaisse ordonnance de renvoi et de mise en accusation.
Une partie importante est consacrée à la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), "police politique" et principal "instrument de terreur" du régime Habré (1982-1990), au "budget considérable", à l'entière discrétion du chef de l'Etat.
"Avec Hissène Habré, même une mouche ne peut être écrasée sans son ordre", témoigne un ancien agent de la DDS cité dans le document.
L'audience se poursuivait dans l'après-midi et devait reprendre mardi matin.
En détention depuis deux ans au Sénégal, où il a trouvé refuge en décembre 1990 après avoir été renversé par l'actuel président tchadien Idriss Deby Itno, Hissène Habré est poursuivi pour "crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes de torture". Il encourt entre 30 ans de prison ferme et les travaux forcés à perpétuité.
Persistant dans sa guérilla judiciaire, il rejette tout contact avec les trois avocats commis d'office par la Cour, qui a ajourné le procès de 45 jours pour permettre à ces avocats de prendre connaissance du dossier.
Il "ne reconnaît ni les CAE, ni les avocats commis d'office qu'il a refusé de recevoir, qui ne sont là que pour sauvegarder les apparences d'une parodie de justice et qui ne sauraient prendre la parole contre sa volonté", ont précisé dimanche les avocats qu'il a désignés, Mes Ibrahima Diawara et François Serres.
Dans une "lettre aux Sénégalais d'un rescapé des prisons de Hissène Habré" publiée lundi, Souleymane Guengueng, fondateur de l'Association des victimes de crimes du régime de Hissène Habré, dénonce les récentes tentatives de "diversion pour couvrir la voix des victimes de Hissène Habré".
Il s'insurge en particulier contre la volonté "de Habré de se présenter comme héraut de l'anti-impérialisme. Lui, dont l'armée était financée et armée par les Etats-Unis et la France - des dizaines de millions de dollars, en armes et munitions! - et la police secrète était formée par les Etats-Unis, Israël et la France!".
Jusqu'à peu avant sa chute, Hissène Habré a bénéficié du soutien américain et français contre la Libye du colonel Mouammar Kadhafi, considéré comme un "parrain du terrorisme".
La répression sous son régime a fait 40.000 morts, selon les estimations d'une commission d'enquête tchadienne.
Le procès devrait durer deux mois, au cours desquels environ 100 témoins et victimes seront entendus. Plus de 4.000 victimes "directes ou indirectes" se sont constituées parties civiles.