"Chasseur de dictateurs" pour les uns, "gourou" pour ses détracteurs: l'Américain Reed Brody, défenseur des droits de l'Homme, préfère se définir comme "un militant pour la justice sociale". Et rêve de faire juger, après le Tchadien Hissène Habré, son ex-président George W. Bush pour torture.
"Je suis avocat, je suis juriste. Mais pour moi, je suis militant. Le droit, c'est un instrument pour mon activisme. Je me définis comme quelqu'un qui lutte pour la justice sociale", déclare M. Brody, 62 ans, conseiller juridique et porte-parole de l'organisation Human Rights Watch (HRW) à l'AFP à Dakar.
Revenu dans la capitale sénégalaise pour la reprise, lundi, du procès Habré pour "crimes de guerre, crimes contre l'humanité et tortures" devant un tribunal spécial africain, lunettes légères et cheveux poivre et sel bouclés, l'homme, polyglotte, s'exprime bien en français.
Il ne sait pas combien de voyages il a effectués au Sénégal - "peut-être 25, 30" - depuis qu'il travaille sur "le dossier Habré". Depuis 1999, un an après son intégration à HRW, quand une avocate tchadienne, inspirée par son action lors de l'arrestation de l'ex-dictateur chilien Pinochet à Londres en 1998, a fait appel à lui.
Hissène Habré, qui a dirigé le Tchad de 1982 jusqu'à son renversement en décembre 1990 par l'actuel président Idriss Deby Itno, son ancien chef de l'armée, s'est réfugié au Sénégal peu après sa chute.
Avant de rejoindre HRW à New York, la ville où il est né le 20 juillet 1953, l'avocat avait "déjà travaillé pour les Nations unies au Salvador, au Congo", "pour Amnesty International, pour la Commission internationale des juristes" notamment et "beaucoup vécu à l'étranger: Nicaragua, Salvador, Haïti, Congo, Suisse...".
Reed Brody explique sa décision par le fait que son père, Ervin, juif hongrois rescapé des camps de travail forcé en Europe, "était vers la fin de sa vie". Un passé paternel qui a nourri sa fibre militante, tout comme l'environnement de son enfance à Brooklyn, quartier à forte population noire où sa mère, Francesca, était professeur.
"Très jeune, j'ai vu les inégalités, les injustices de New York, des Etats-Unis. Toute ma vie, j'ai milité pour les minorités aux Etats-Unis", participé aux "marches pour les droits civiques, contre la guerre au Vietnam, contre l'intervention des Etats-Unis en Amérique centrale, pour la paix, pour la justice...".
- 'Agent sandiniste' -
S'il est devenu "le chasseur de dictateurs" pour beaucoup, en référence au titre d'un documentaire qui lui a été consacré ("The Dictator Hunter", par Klaartje Quirijns), les partisans de Hissène Habré l'accusent d'être mû par l'ambition de "casser du chef d'Etat" ou d'être au service du président Deby Itno.
"Le gourou", "le marionnettiste" font partie des surnoms donnés par ses détracteurs, révèle Reed Brody, jurant ne pas avoir "de relation particulière avec Deby", qu'il a rencontré au même titre que d'autres dirigeants à travers le monde.
Dès l'origine, son engagement a été contesté, dans son propre pays, sous la présidence de Ronald Reagan (1981-1989), indique-t-il. En 1984, en visite au Nicaragua, il découvre des atrocités commises par des opposants à la Révolution sandiniste, les "Contras", soutenus par Washington.
Après ce voyage, il démissionne de son poste de substitut du procureur de New York, retourne enquêter cinq mois au Nicaragua. Son rapport, publié en mars 1985, fait grand bruit et convainc "le Congrès américain de couper les crédits aux contre-révolutionnaires".
"J'ai même été attaqué personnellement par le président Reagan qui m'a traité d'agent sandiniste", se souvient-il, "c'est là que mon travail actuel d'avocat des droits de l'Homme a commencé" véritablement.
Malgré cette activité dévorante, il a un fils de 15 ans, Zachary, d'un premier mariage avec une infirmière brésilienne, Myriam Marques, et vit aujourd'hui en ménage avec la cinéaste espagnole Isabel Coixet, qui a consacré un documentaire à une victime décédée du régime Habré, Rose Lokissim ("Parler de Rose").
Reed Brody ne sait pas ce qu'il fera une fois le dossier Habré bouclé. "Mais si je pouvais amener en justice une personne, ce serait George W. Bush (président de 2001 à 2009) "pour les tortures, le +waterboarding+ (simulation de noyade), les prisons secrètes, le transfèrement des prisonniers vers des lieux de torture, etc."
"Je mesure la difficulté", affirme-t-il, "mais évidemment, ce ne sont pas les difficultés qui m'effraient".