ABIDJAN, 26 July 2015 (IRIN) - Cinq ans après l’élection présidentielle contestée de 2010 en Côte d’Ivoire, qui a plongé le pays dans une agitation qui a fait plus de 3 000 morts, la population s’apprête à reprendre le chemin des urnes. Va-t-on assister à de nouveaux troubles à l’occasion de cette nouvelle élection prévue pour octobre, ou ce pays d’Afrique de l’Ouest va-t-il tourner la page et aller de l’avant ?
L’ancien président Laurent Gbagbo, qui avait refusé de laisser le pouvoir à Alassane Ouattara, vainqueur de l’élection de 2010, se trouve maintenant à La Haye, inculpé par la Cour pénale internationale (CPI) de crimes contre l’humanité.
L’économie de la Côte d’Ivoire est en plein essor et M. Ouattara a gagné en popularité. M. Gbagbo — considéré comme le seul rival possible — ne peut en outre pas se présenter.
Tout porte à croire que le scrutin va se dérouler de manière pacifique, mais cela ne signifie pas que les deux camps se sont tout pardonné.
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La Commission dialogue, vérité et réconciliation, censée fédérer la population et mettre fin aux divisions politiques et ethniques qui perduraient, est l’une des institutions les plus impopulaires du pays et certains accusent M. Ouattara d’appliquer la justice du vainqueur.
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Moins de trois mois avant l’élection, des spécialistes des droits de l’homme et des analystes politiques ont identifié trois points qui sont particulièrement source de préoccupations :
Les prisonniers politiques
La question de la détention de 700 prisonniers politiques continue de diviser. Les sympathisants de M. Gbagbo demandent leur libération, mais ses opposants estiment que justice doit être rendue.
« Le gouvernement actuel ne veut pas créer les conditions nécessaires à une société pacifique », a dit à IRIN Dahi Nestor, président de la Coalition nationale de la jeunesse pour le changement, un groupe d’opposition pro-Gbagbo. « Il continue de maintenir des personnes innocentes en prison. C’est une atteinte à la démocratie. Un pays normal ne peut organiser des élections avec des centaines de prisonniers politiques dans ses prisons. »
M. Ouattara et son gouvernement maintiennent que ceux qui sont en prison n’ont pas été arrêtés pour leurs convictions politiques, mais parce qu’ils avaient enfreint la loi. « Nous voulons la réconciliation », a dit le président, « mais nous ne voulons pas d’un État de désordre ».
Une justice sélective ?
La condamnation en mars de l’ancienne première dame, Simone Gbagbo, et de deux coaccusés à 20 ans de prison pour « attentat à la sûreté de l’État » — ainsi que de 65 autres sympathisants de son mari à des peines plus courtes — a confirmé aux yeux des opposants à M. Ouattara la partialité de la justice.
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Les deux camps ont été accusés d’avoir massacré des civils en 2010-2011. Pourtant, seuls les alliés de l’ancien président ont été condamnés.
« Malheureusement, nous n’assisterons pas à une justice équitable avant la prochaine élection, car plus nous approchons de cette échéance, plus les ressources et l’attention sont tournées vers le scrutin », a dit à IRIN Barthélémy Touré, analyste politique à Abidjan.
Trop terrifiés pour rentrer
En vertu de la Constitution ivoirienne, aucun citoyen ne peut être exilé de force. Pourtant, d’après le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), près de 50 000 Ivoiriens, dont des exilés politiques et militaires qui ont fui au Liberia, au Ghana, au Togo et dans d’autres pays lors de la crise de 2010-2011, ne peuvent ou ne veulent toujours pas rentrer chez eux.
Même si M. Ouattara les a priés de rentrer, nombre d’entre eux craignent de finir en prison ou d’être persécutés s’ils le font.
Je sens que cette énergie négative s’est évaporée et qu’il n’y aura plus ce grand fossé entre les habitants
Franck Kouakou Tanoh, membre du mouvement pro-Gbagbo des Jeunes patriotes est exilé au Ghana depuis avril 2011. « Ce n’est pas l’envie de rentrer qui nous manque », a-t-il dit à IRIN par téléphone avant d’ajouter qu’il ne croyait pas aux promesses que les exilés seraient traités correctement.
L’opposition demande aussi le retour de ses leaders, dont M. Gbagbo et l’ancien chef des Jeunes patriotes, Charles Blé Goudé, qui attend lui aussi d’être jugé par la CPI. L’opposition menace de boycotter les élections d’octobre si ses demandes ne sont pas respectées.
Bisa Williams, Sous-secrétaire adjointe des États Unis aux affaires africaines, qui s’est rendu en Côte d’Ivoire ce mois-ci pour discuter des préparatifs des élections, a prié toutes les parties prenantes de participer au processus malgré leurs différends.
« Il est évident que les Ivoiriens ont vécu des temps difficiles ces quatre dernières années », a-t-elle dit. « Mais je sens que cette énergie négative s’est évaporée et qu’il n’y aura plus ce grand fossé entre les habitants. Il est vrai qu’il y aura toujours des disputes, mais on peut espérer qu’elles ne détruiront plus le pays. »
Peter Kouame Adjoumani, président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme, a observé des améliorations, mais reste très préoccupé.
« Des problèmes très importants n’ont pas encore été résolus et pourraient conduire à une explosion de la situation, » a-t-il dit à IRIN.