Le Haut Commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU a appelé mercredi à la mise en place d'un tribunal spécial associant magistrats locaux et internationaux pour juger les crimes commis au Sri Lanka lors du conflit avec les Tigres tamouls.
M. Zeid Ra'ad Al Hussein s'appuie sur un rapport d'experts mandatés par les Nations unies qui dénonce des "dizaines de milliers de disparitions forcées" et décrit les multiples crimes commis pendant plus de trente ans de lutte entre le pouvoir central et les séparatistes des Tigres tamouls. Le conflit a fait plus de 100.000 morts et pris fin en 2009 avec l'écrasement de la rébellion.
Ce rapport recommande la constitution d'"un tribunal spécial hybride intégrant des juges, des procureurs, des avocats et des enquêteurs internationaux", considérant qu'un tribunal national n'aurait "aucune chance de surmonter les suspicions alimentées par des décennies" de conflit.
"Etant donné que crimes de guerre et crimes contre l'humanité ne peuvent être prouvés que devant une cour, une des recommandations les plus significatives du rapport est la proposition d'établissement d'un tribunal hybride spécial", a souligné M. Zeid.
"Ce rapport a mis à nu le niveau horrible de violations et d'abus y compris des bombardements indiscriminés, des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées. Il contient des récits effrayants d'actes de torture et de violences sexuelles", selon le Haut Commissaire.
- 'crimes de guerre et contre l'humanité '
Le document de 250 pages note de "graves violations entre 2002 et 2011" avec de "fortes indications que des crimes de guerre et contre l'humanité ont été probablement commis par les deux parties en conflit".
"Les disparitions forcées ont affecté des dizaines de milliers de Sri Lankais pendant des décennies (...) Il y a des éléments raisonnables pour croire que ces disparitions forcées ont été menées dans le cadre d'une attaque large et systématique contre la population civile", dénoncent les experts.
Ils évoquent notamment la disparition de nombreuses personnes qui s'étaient rendues dans la phase finale de la guerre et n'ont toujours pas été retrouvées. Le rapport dénonce aussi "l'étendue des violences sexuelles commises contre les détenus, extrêmement brutales" et touchant aussi bien les hommes que les femmes.
Le recrutement d'enfants, parfois de moins de 15 ans, parmi les combattants des Tigres tamoul mais aussi par le groupe paramilitaire Karuna, qui soutenait le gouvernement, est mis en évidence.
Pour la première fois également, l'ONU se prononce sur la mort en 2006 de 17 membres locaux de l'ONG française Action contre la faim (ACF) et met en cause les forces gouvernementales.
Colombo a promis de porter "l'attention voulue" au rapport, se disant ouvert au dialogue avec le Haut commissaire aux droits de l'homme tout en se gardant toutefois d'accepter une enquête internationale.
Les enquêteurs, parmi lesquels des experts militaires, n'ont pu se rendre sur place et des témoins avaient été intimidés par les autorités mais ils ont fondé leur enquête sur plus de 3.000 témoignages écrits, des documents, des images satellite confidentielles.
"Les Sri Lankais en quête de justice ont attendu longtemps ce rapport, il doit lancer maintenant le processus pour ceux qui doivent répondre de leurs actes", a estimé à Genève David Griffith, d'Amnesty International qui a appelé le Conseil à adopter une résolution dans ce sens.
Les recommandations du rapport vont nettement plus loin que la proposition formulée lundi devant le Conseil des Droits de l'Homme de l'ONU par le nouveau gouvernement du Sri Lanka, qui a annoncé la prochaine mise en place d'un bureau des réparations de guerre et d'une commission vérité.
Le président sri-lankais Maithripala Sirisena, élu en janvier, a promis d'encourager la réconciliation et d'enquêter sur les crimes qu'aurait commis l'armée lors de la campagne militaire ayant mis fin à la rébellion tamoule en 2009, quand l'ancien homme fort, Mahinda Rajapakse, était au pouvoir.
"J'approuve le Haut Commissaire quand il dit qu'on ne peut avancer sans rendre des comptes. Le gouvernement du Sri Lanka semble vouloir aller de l'avant en oubliant le passé, les victimes pensent qu'on ne peut avancer vers l'avenir en ignorant la nécessité de rendre des comptes", a estimé depuis le Sri Lanka Mme Sandrya Eknaligoda qui a témoigné pour le rapport sur le disparition de son mari.