Le taux de mortalité d'opposants tchadiens présumés dans les prisons du régime Habré était encore pire que celui des prisonniers de guerre américains dans les camps japonais, a témoigné vendredi un expert au procès du président déchu devant un tribunal spécial africain à Dakar.
Depuis plusieurs jours, la question des conditions de détention et, par voie de conséquence, de la responsabilité de Hissène Habré dans la mort des détenus sous son régime (1982-1990) agite les débats.
Le statisticien américain Patrick Ball, qui a travaillé sur les rapports journaliers de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS, police politique du régime) de 1985 à 1988, a expliqué avoir calculé le taux de mortalité quotidien à partir du nombre de détenus morts le soir par rapport au nombre de vivants le matin.
Ce taux est 1,3 à 4,5 fois plus élevé que celui des prisonniers américains dans les camps japonais pendant la Deuxième Guerre mondiale, et de 90 à 400 fois supérieur à celui des prisons tchadiennes pour détenus de droit commun, a-t-il indiqué.
Interrogé sur la fiabilité de la statistique par les avocats commis d'office pour défendre Hissène Habré, l'expert a assuré du sérieux de ses travaux, mais affirmé ne vouloir se livrer à aucune "spéculation" sur un éventuel lien entre cette surmortalité et le rôle de l'Etat.
Mercredi, la défense avait déjà minimisé la responsabilité du chef de l'Etat, interpellant Mahamat Hassan Abakar, président de la commission d'enquête sur les crimes au Tchad de 1982 à 1990, qui a établi un bilan minimum de 40.000 morts de la répression sous Habré, et décrivait des conditions de détention dantesques par la DDS.
"Quand un Etat ne peut nourrir ses enfants, ni les envoyer à l'école, pensez-vous que la priorité soit de construire des prisons 4 étoiles ?", avait lancé un des avocats commis d'office, citant des rapports de Médecins sans Frontières (MSF) et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sur l'état des prisons en Afrique de l'Ouest.
Depuis l'ouverture des débats, Hissène Habré refuse de s'exprimer devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE), tribunal spécial créé en vertu d'un accord entre le Sénégal et l'Union africaine (UA), qu'il récuse.
L'accusé a demandé aux défenseurs qu'il a choisis de boycotter le procès et ne collabore pas avec les trois avocats commis d'office.
En détention depuis deux ans au Sénégal, où il a trouvé refuge en décembre 1990 après avoir été renversé par le président Deby Itno, il est poursuivi pour "crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes de torture", et encourt jusqu'aux travaux forcés à perpétuité.