Un chef touareg d'un groupe islamiste malien lié à Al-Qaïda, soupçonné d'avoir dirigé la destruction en 2012 de mausolées à Tombouctou, a comparu mercredi devant la Cour pénale internationale, qui instruit son premier dossier du genre.
Cette comparution dite "initiale", expédiée en une trentaine de minutes, fait suite au transfèrement d'Ahmad Al Faqi Al Mahdi dans la nuit de vendredi à samedi au centre de détention de la CPI à La Haye. Il était précédemment détenu au Niger.
Épaisse chevelure frisée, barbe, lunettes rectangulaires, le suspect, habillé d'un costume bleu foncé, chemise claire et cravate rouge, s'est adressé en arabe à la Cour.
"Mon nom est Ahmad Al Faqi Al Mahdi, je suis de la tribu touareg Al Ansar, je suis né il y a environ 40 ans", a-t-il dit au juge qui lui demandait de s'identifier : "L'arabe est la langue que je comprends et que je parle".
"J'étais un fonctionnaire dans l'éducation dans le gouvernement malien en 2011", a-t-il assuré.
Le juge Cuno Tarfusser a ensuite demandé au greffe de lire les crimes de guerre dont le suspect est accusé, avant de lire les droits du suspect : "Vous êtes présumé innocent jusqu'à preuve du contraire".
Il a ensuite fixé au 18 janvier le début de l'audience de confirmation des charges, étape de la procédure durant laquelle la procureure doit convaincre les juges que son dossier est assez solide pour mener à un procès.
- 'Cité des 333 saints' -
Selon l'accusation, M. Al Mahdi était l'un des chefs d'Ansar Dine, un groupe islamiste radical associé à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).
En tant que tel, il aurait dirigé la destruction de dix édifices religieux dans la vieille ville de Tombouctou, inscrite au patrimoine mondial de l'humanité.
Il s'agit des premières poursuites de la CPI, entrée en fonction en 2003, pour des destructions d'édifices religieux et de monuments historiques.
Fondée entre le XIe et le XIIe siècles par des tribus touareg, Tombouctou a été un grand centre intellectuel de l'islam et une ancienne cité marchande prospère des caravanes.
M. Al Faqi est par ailleurs le premier suspect arrêté dans l'enquête de la CPI ouverte début 2013 sur le Mali et portant sur les exactions commises par les groupes jihadistes liés à Al-Qaïda.
Ces derniers avaient pris le contrôle du nord du Mali en mars-avril 2012, après la déroute de l'armée face à une rébellion à dominante touareg. Tombouctou, dont la vieille ville est inscrite au patrimoine mondial de l'humanité, était restée sous leur contrôle entre avril 2012 et janvier 2013.
Considérant la vénération des saints comme de l'"idolâtrie", les islamistes avaient défiguré "La cité des 333 saints", notamment en visant les mausolées.
- Brigade des moeurs -
C'est en tant que chef présumé de la "Hesbah", la brigade des moeurs, que M. Al Faqi a dirigé et participé personnellement aux attaques contre les monuments, affirme le mandat d'arrêt délivré à son encontre.
L'accusation liste neuf mausolées et une des trois plus importantes mosquées de la ville, Sidi Yahia.
Il participait en outre à l'exécution de décisions prises par le Tribunal islamique de Tombouctou, selon l'accusation.
Le juge Tarfusser lui a demandé s'il souhaitait s'exprimer quant aux charges retenues contre lui, M. Al Faqi a dit: "Je ne souhaite pas faire de déclarations, je vais consulter mon avocat et son équipe, et il se peut que je fasse des observations à un stade ultérieur".
Également connu sous le nom d'Abou Tourab, M. Al Faqi est originaire d'Agoune, à environ 100 kilomètres à l'ouest de Tombouctou.
Aucune indication n'a été donnée sur la date et les circonstances de son arrestation.
Les jihadistes qui contrôlaient le nord du Mali en ont été en grande partie chassés à la suite du lancement en janvier 2013, à l'initiative de la France, d'une intervention militaire internationale qui se poursuit actuellement.
Mais des zones entières du pays échappent encore au contrôle des forces maliennes et étrangères.
L'Unesco a lancé en 2014 un vaste programme de reconstruction de Tombouctou et notamment de ses mausolées.