Trente-quatre ans après la publication de "Vichy et les Juifs", les historiens canadien et américain Michael Marrus et Robert Paxton persistent et signent. "La thèse +Vichy bouclier+ qui a protégé les Juifs de France, est très facile à réfuter", affirme Robert Paxton.
Publiée par Calmann-Lévy, une seconde édition de leur célèbre ouvrage, paru en 1981, est attendue en librairie mercredi et pour Robert Paxton, rencontré récemment à Paris par l'AFP, "il est très clair que le régime de Vichy a voulu réduire le rôle de tous les Juifs, citoyens français et étrangers".
Beaucoup de choses ont changé depuis la première publication de "Vichy et les Juifs". Les archives françaises de l'époque sont désormais entièrement ouvertes aux chercheurs tout comme les archives allemandes, américaines, britanniques ou italiennes. Par la voix de Jacques Chirac, alors président de la République, le rôle de l'Etat français dans la déportation des Juifs a été reconnu. L'Eglise de France a fait acte de repentance pour son silence initial. Des citoyens français ont été jugés et punis pour crimes contre l'humanité ou complicité de crimes contre l'humanité. Le livre prend en compte tous ces changements.
Mais, alors que nombre d'historiens, spécialistes reconnus de cette période sombre de l'Histoire de France (comme par exemple Jacques Semelin), insistent pour souligner que 75% des Juifs de France ont échappé à la déportation et à la mort, les deux universitaires nord-américains maintiennent leur thèse. Ils souhaitent démontrer, documents à l'appui, que "proportionnellement", la déportation des Juifs a été plus importante en France que dans les autres pays occupés, voire qu'en Italie fasciste. "Le bilan est plus lourd qu'il aurait dû être", tranche Robert Paxton.
- 'Trop tard et trop peu' -
"Concernant la thèse affirmant que les trois-quarts des Juifs de France ont survécu, je trouve que c'est une question d'interprétation", affirme-t-il. "En Italie, le pourcentage de Juifs déportés est de 16%. Il y a certes une législation antisémite dans l'Italie fasciste mais quand les déportations commencent, le peuple italien n'aide pas, la police italienne n'aide pas...", fait remarquer l'auteur de "La France de Vichy".
"Nous trouvons fâcheux que certains continuent de se demander pourquoi tant de Juifs ont survécu en France", juge-t-il. "Il faudrait plutôt demander pourquoi tant ont péri". "La perte de 25% des Juifs de France n'est pas un bilan dont on peut se vanter", écrivent les deux auteurs.
"Sans la participation du régime de Vichy, sans la livraison aux Allemands de 10.000 Juifs étrangers en zone non occupée, sans la participation de la police française aux arrestations, sans l'action des individus (dénonciateurs, acheteurs de biens juifs aryanisés), sans tous ces éléments, le bilan aurait été moins lourd", insiste M. Paxton.
Le livre dénonce l'idée (assez répandue ces dernières années) que Vichy aurait essayé d'épargner les Juifs anciennement établis en France. "S'il est vrai qu'en 1942 (après l'invasion de la +zone libre+), Vichy a des velléités de reporter un peu le départ de ses citoyens juifs, c'est trop tard et trop peu", dit Robert Paxton.
Les historiens rappellent également que les premières mesures antisémites de Vichy puisent leurs racines à la fin des années 1930 alors que "l'antisémitisme est au centre de la vie politique". "Il y avait une idée presque consensuelle qu'il existait +un problème juif+ en France", explique l'ancien professeur de l'université de Columbia.
Critiqués en 1981 pour avoir souligné le soutien d'une grande partie des Français aux lois raciales de Vichy, les deux auteurs ne manquent pas de rendre hommage "aux Français anonymes et admirables" qui ont apporté leur aide aux Juifs persécutés. Le livre leur est dédié.
Interrogé sur les possibles réactions que l'ouvrage suscitera, Robert Paxton imagine que "beaucoup de Français diront: +que fait cet étranger qui vient fouiner dans notre terre+". Mais, ajoute-t-il, "d'autres diront: +c'est une bonne chose+".
"Il y aura des réactions contrastées", prévoit-il en notant que "beaucoup de Français en ont ras-le-bol de ces histoires et préfèrent ne plus y penser".