Le Burundi, petit pays d'Afrique des Grands lacs à l'histoire marquée par des massacres interethniques et une guerre civile meurtrière, s'enfonce depuis huit mois dans une crise politique majeure, dont l'aggravation ces dernières semaines fait peser le risque d'un génocide selon la communauté internationale.
QU'EST-CE QUI A DECLENCHE LA CRISE?
Le 25 avril, le président Pierre Nkurunziza, au pouvoir depuis 2005, officialise sa candidature à un troisième mandat, jugé anticonstitutionnel par la société civile, l'opposition, l'Eglise catholique et une partie même de son camp.
La crise couvait déjà depuis plusieurs mois et l'annonce de cette candidature déclenche des manifestations, interdites par les autorités. Le pouvoir parvient à les étouffer mi-juin au prix d'une répression sanglante dont le bilan est estimé à 80 morts.
Mi-mai, la crise prend une nouvelle dimension avec une tentative de coup d'Etat militaire rapidement maîtrisée. Une partie des généraux putschistes parvient à se réfugier à l'étranger, d'où ils appellent à "sauver et libérer le pays".
Le président Nkurunziza est réélu en juillet à l'issue d'un scrutin boycotté par l'opposition.
La crise continue d'empirer avec des accrochages nocturnes entre forces de l'ordre et opposants dans les quartiers contestataires de Bujumbura où les armes pullulent. Le 11 décembre, trois camps militaires à Bujumbura et en province sont pris d'assaut par des assaillants finalement repoussés, les affrontements les plus intenses depuis le coup d'Etat avorté.
Au moins 400 personnes ont été tuées depuis fin avril, selon l'ONU, qui considère que le bilan pourrait même être "considérablement plus élevé".
QUELS ENJEUX POUR LE BURUNDI?
Pour ses opposants, le nouveau mandat de M. Nkurunziza viole la Constitution et l'Accord d'Arusha, qui avait permis la fin de la guerre civile (1993-2006) et apporté 10 ans de paix au Burundi, après des décennies de massacres entre Hutu et Tutsi.
M. Nkurunziza était à la tête d'une des rébellions hutu, l'ethnie majoritaire (environ 85% de la population), opposées à l'armée dominée alors par la minorité tutsi (environ 15%) pendant la guerre civile burundaise qui fit 300.000 morts.
En faisant fi de l'Accord d'Arusha selon ses opposants, le président met en péril à terme le savant équilibre ethnique que le texte consacre au sein du pouvoir et des institutions, et qui constitue le socle démocratique au Burundi.
UN RISQUE DE GENOCIDE?
La communauté internationale, traumatisée par son échec à prévenir le génocide de 1994 au Rwanda (800.000 morts selon l'ONU, dans leur très grande majorité tutsi), multiplie les appels pour empêcher un génocide au Burundi, Nations unies et Union africaine (UA) en tête.
Si la société civile, en pointe dans l'animation de la contestation contre le troisième mandat, est dominée par des Tutsi, la crise actuelle est à l'origine politique et le front anti-Nkurunziza transcende largement les lignes ethniques. Des cadres influents du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, opposés au troisième mandat, ont fui à l'étranger et le chef du coup d'Etat manqué de mai est le général Godefroid Nyombare, ancien compagnon d'arme du président Nkurunziza au sein de la rébellion hutu et ex-chef d'état-major.
Mais ces derniers mois, les discours se sont "ethnicisés" et la rhétorique employée par des cadres du parti au pouvoir en public ou sur les réseaux sociaux fait penser, pour de nombreux observateurs, à celle entendue au Rwanda avant le génocide de 1994.
Les projets à l'étude de l'ONU et de l'UA d'envoyer des soldats de maintien de la paix au Burundi ne sont pas étrangers à ce dangereux glissement de la crise sur des lignes ethniques.
UN RISQUE DE DESTABILISATION DE LA REGION?
Un génocide, deux guerres régionales (1996-1997 et 1998-2003) qui ont impliqué jusqu'à sept pays africains sur le sol congolais: la région des Grands lacs est l'une des plus instables du continent africain.
La crise actuelle a déjà envenimé les relations entre le Burundi et le Rwanda: Bujumbura accuse de plus en plus ouvertement son voisin d'alimenter la crise, ce que Kigali dément catégoriquement. En tout état de cause, il est difficile d'imaginer que le régime du président rwandais Paul Kagame, qui se pose en protecteur des Tutsi de la région, resterait inactif en cas de violences à grande échelle au Burundi.
A l'est, le Burundi est également frontalier de la République démocratique du Congo, toujours en proie aux violences d'une myriade de groupes armés.
La crise a déjà fait sentir ses premiers effets sur les pays voisins du Burundi, où quelque 200.000 Burundais ont trouvé refuge.