Alors que le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) clôt ses travaux, Kigali se montre moins critique que par le passé. Le ton virulent de naguère cède même parfois le pas à l'éloge, même si le Rwanda épingle toujours certains échecs. Les relations entre le gouvernement rwandais et ce tribunal créé par l'ONU en novembre 1994 et qui a rendu son dernier jugement le 14 décembre, n'ont pas été toujours faciles.
« Le TPIR a fait un travail formidable », estime le procureur général du Rwanda, Richard Muhumuza. Le magistrat rwandais cite à l'appui de son appréciation une décision du Tribunal selon laquelle « le génocide des Tutsis (en 1994) est un fait de notoriété publique, qui fait désormais partie de l'histoire mondiale et n'a plus besoin d'être prouvée ». Ce « constat judiciaire » a été dressé par la chambre d'appel du TPIR, le 16 juin 2006, dans le procès de trois dirigeants du Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (MRND), le parti de l'ex-président Juvénal Habyarimana. « Il n'y a aucune base raisonnable pour qui que ce soit de nier qu'en 1994, il y avait une campagne de massacres de masse visant à détruire, en tout ou tout au moins en grande partie, la population tutsie du Rwanda », a tranché unanimement la chambre d'appel, mettant fin à un débat qui durait depuis des années entre le procureur et certains avocats la défense.
Par ailleurs, poursuit le procureur Muhumuza, le TPIR, même s'il n'a jugé d'un petit nombre de suspects, a « condamné la plupart de ses accusés au terme de jugement qui serviront de jurisprudence à l'avenir ». Parmi les personnes jugées par ce tribunal qui était basé à Arusha, dans le nord de la Tanzanie, figurent l'ancien Premier ministre Jean-Kambanda et d'autres membres de son équipe ministérielle, d'anciens généraux de l'armée, des hommes d'église, de grands hommes d'affaires ainsi que des hommes des médias.
Contribution à la lutte contre l'impunité
Pour Naphtal Ahishakiye, secrétaire exécutif Ibuka (souviens-toi, en langue rwandaise), le collectif des associations de rescapés du génocide, « ces génocidaires de première catégorie » ne constituent donc plus une menace, car ne pouvant plus, depuis leur prison, planifier librement un autre génocide ou propager à volonté « l'idéologie du génocide ». Le responsable d'Ibuka estime donc qu'en dépit de certains échecs, le TPIR a apporté sa contribution à la lutte contre l'impunité.
Au nombre des insuccès, le procureur Muhumuza mentionne en premier lieu, le fait que neuf accusés sont encore en fuite après une vingtaine d'années de traque, avec des moyens financiers colossaux qui étaient mis à la disposition du TPIR par les Nations unies. « C'est regrettable et incompréhensible », déplore –t-il.
Les dossiers de six de ces accusés en fuite ont été confiés à la justice rwandaise dans le cadre de la stratégie de fin de mandat du TPIR. C'est désormais au Rwanda qu'incombe la première responsabilité de les localiser, les faire arrêter et les juger.
« C'est une tâche difficile », estime Ahishakiye, espérant toutefois qu'avec l'aide d'Interpol et la coopération des Etats, ces fugitifs pourront être arrêtés pour répondre des crimes portés contre eux. Début décembre, l'un de ses accusés, l'ex- maire Ladislas Ntaganzwa a été arrêté dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC). Il a été transféré à Kinshasa, capitale de la RDC, en attendant son éventuel renvoi au Rwanda.
IIbuka critique par ailleurs certains jugements du Tribunal. « Plus d'une fois, nous avons été surpris par des acquittements ou des peines trop clémentes malgré des preuves fiables présentées par des témoins, dont des rescapés », s'insurge Ahishakiye pour qui certaines décisions judiciaires prononcées par le TPIR pourraient constituer un obstacle à la réconciliation des Rwandais.
Qui a planifié le génocide ?
Un autre échec du TPIR, selon Kigali, c'est sa relative incapacité à établir la planification du génocide. « Si même le colonel Théoneste Bagosora, qui était accusé d'avoir été le cerveau génocide, a finalement été acquitté du chef d'entente, qui alors a planifié le génocide ? », demande un prêtre catholique.
Mais pour Maître Alexis Musonera, du barreau de Kigali, c'est la limitation de la compétence temporelle du TPIR qui est responsable de cet échec. « Les juges sont liés par la compétence ratione temporis », explique l'avocat, soulignant que les chambres ne peuvent pas entrer en voie de condamnation sur la foi d'éléments de preuve antérieurs à janvier 1994. Maître Musonera fait référence à la jurisprudence de la chambre d'appel du TPIR dans le célèbre procès des médias, une décision qui a porté un coup dur à la stratégie du procureur. La compétence temporelle du TPIR couvre la période du 1er janvier au 31 décembre 1994.
Une autre critique, également imputable aux textes fondateurs du TPIR, c'est le manque d'un mécanisme d'indemnisation pour les victimes. « Sans l'indemnisation de la victime, la justice est effectivement incomplète », rappelle le procureur Muhumuza, déplorant, comme le secrétaire exécutif d'Ibuka, une lacune dont la responsabilité incombe au Conseil de sécurité.
Les citoyens ordinaires reconnaissent eux aussi la contribution du TPIR à la lutte contre l'impunité. Mais certains rescapés qui luttent encore contre les séquelles du génocide ont le sentiment que les condamnés du TPIR mènent un train de vie plutôt scandaleux. « Tandis que plusieurs femmes et filles violées pendant le génocide et infectées du virus du sida meurent à petit feu, rongées par la maladie, la solitude et la honte, nos bourreaux, repus de dollars onusiens, se prélassent dans des chambres 'cinq étoiles' où ils reçoivent leurs femmes », s'indigne une veuve du génocide. La survivante fait allusion au droit des prisonniers du TPIR à recevoir des visites conjugales dans une chambre intime en dehors de leur cellule.
Après avoir traîné des pieds, l'administration du TPIR a reconnu et garanti ce droit notamment dans un souci d'harmonisation avec la pratique au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIR), une autre juridiction créée par l'ONU.