Le 31 décembre 2015, lors de ses vœux à la nation, le président rwandais Paul Kagamé a annoncé son intention de se présenter à l’élection présidentielle de 2017 : « Vous m’avez demandé de diriger à nouveau ce pays après 2017. Étant donné l’importance que vous y accordez, je ne peux qu’accepter ».
Une stratégie bien ordonnée
Un long travail politique, mené depuis la fin de l’année 2014, a été mené préalablement à cette annonce destinée autant aux observateurs internationaux qu’aux électeurs rwandais. Il a débuté en octobre de cette année-là par la déclaration de trois partis satellites du Front patriotique rwandais (FPR), le parti de Paul Kagamé, appelant à un référendum sur une révision de la Constitution qui, jusqu’alors, limitait la fonction présidentielle à deux mandats de sept ans.
Puis, début février 2015, plusieurs Rwandais éminents publièrent des tribunes dans le journal pro-gouvernemental, The New Times. Ils célébraient le chef de l’État et faisaient le vœu qu’il ne quitte pas le pouvoir : le pays avait encore besoin de lui. À la mi-mars, le maire de Kigali, la capitale rwandaise, déclara que selon des représentants territoriaux, leurs électeurs réclamaient une réforme de la Constitution. Fin mai, le Parlement annonça que deux millions de citoyens avaient déjà signé une pétition affirmant leur accord pour que Kagamé ait la possibilité d’être réélu. Le 15 juin, alors que la pétition comptait 3,6 millions de signatures (sur 6 millions d’électeurs), le FPR se prononça en faveur de la réforme constitutionnelle.
Le 14 juillet, le Parlement vota à l’unanimité le principe de la révision et constitua un comité pour la proposer à un référendum national. Cette session se déroula en présence de nombreux partisans rassemblés dans les tribunes ouvertes au public, leurs chants et leurs applaudissements furent amplement médiatisés. Les consultations pour le référendum se déroulèrent dans tout le pays et, le 15 août, le rapport des députés présenté au Parlement attesta que la majorité de la population souhaitait un amendement de la Constitution, qu’une dizaine de Rwandais seulement se seraient prononcés contre le projet.
Tirant argument du nombre des pétitions, le Parlement prépara et vota, le 28 octobre, la loi soumise au référendum. Elle stipule que le Président en exercice pourrait se représenter en 2017 pour un mandat de sept ans. Puis, à partir de 2024, au septennat serait substitué un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Ce serait l’année zéro de la nouvelle Constitution. Ingénieuse disposition qui donne toute latitude à Paul Kagamé de briguer éventuellement deux nouveaux mandats en 2024 : il pourrait donc être réélu jusqu’en 2034.
Le 18 décembre dernier, fut posée aux 6,4 millions d’électeurs la question suivante : « Êtes-vous d’accord avec la Constitution de la République du Rwanda telle que révisée pendant l’année 2015 ? » Il y eut 98,9 % de « oui ». Seul le petit Parti démocratique vert, sans élu au Parlement, osa déposer une requête à la Cour suprême contre toute réforme de la Constitution et il fut débouté. Durant toute cette opération, Kagamé fit durer l’incertitude, il ne dévoilait pas ses intentions, affirmait qu’il n’était pas décidé.
Une spontanéité bien contrôlée
Cette campagne ordonnée et sophistiquée a donc atteint son but sans accroc. Elle a culminé avec la production d’une masse de pétitions « spontanées » émanant du peuple, méthode qui a été présentée par les autorités comme une consultation démocratique. Il ne restait plus ensuite qu’à donner une forme légale à la volonté populaire, et ce fut le référendum triomphal du 18 décembre.
La méthode des pétitions a été tout particulièrement critiquée par des analystes étrangers et même par des observateurs qui, pourtant, célébraient régulièrement le nouveau Rwanda. Ils ont souligné que les contrôles locaux de la population étaient tels que se déclarer contre le troisième mandat, donc contre le président, c’était désobéir aux autorités, donc dangereux. Ainsi Phil Clark, maître de conférences à l’Université de Londres (S0AS), pointait-il, le 3 décembre dernier, la « coercition » exercée sur la population au moment de la collecte des pétitions : « Les autorités locales allèrent de maison en maison, cajolant les électeurs pour qu’ils signent la pétition, ce qu’ils furent nombreux à faire plusieurs fois. »
De fait, les travaux de chercheurs menés au Rwanda décrivent combien les populations sont étroitement contrôlées sous de multiples aspects de leur vie par un réseau d’autorités locales. Il en résulte un système de surveillance généralisé ne laissant place qu’à des expressions publiques d’obéissance. Nommé vice-président de la République en 1994 et président en 2000, élu en 2003 et en 2010, obtenant chaque fois plus de 90 % des voix, Paul Kagamé s’est, par ailleurs, occupé de briser toute forme d’opposition déclarée parmi les élites et la population civile, en recourant à des méthodes dont la brutalité a été régulièrement dénoncée par les organisations de défense des droits humains.
À Washington, la fin des illusions ?
Principal allié du Rwanda, les États-Unis ont de longue date dénoncé les présidents à vie. En juillet 2009, le président Barack Obama avait ainsi critiqué, lors d’un voyage au Ghana, les présidents africains qui « changent de Constitution pour rester au pouvoir ». Il réitéra ses propos fin juillet 2015, à Addis-Abeba (Éthiopie), affirmant que « personne ne devrait être président à vie. » Le 4 septembre de la même année, John Kirby, porte-parole du département d’État, réagit négativement à la décision prise par le Parlement rwandais d’amender la Constitution. Puis, le 17 novembre, nouvelle déclaration du Département d’État déplorant la réforme constitutionnelle en cours que le porte-parole, Mark Toner, estime contraire à l’engagement pris auparavant par Paul Kagame de se retirer en 2017.
Ces déclarations furent et restent sans effet, du moins apparent. Kagamé a réagi lors de son allocution du 31 décembre 2015 en opposant le plébiscite populaire au légalisme américain : l’exemplarité ce sera pour plus tard, dans l’immédiat le vœu du peuple s’est exprimé. Le département d’État a répondu par un communiqué de presse le 2 janvier dernier affirmant « la profonde déception » des États-Unis. Le 3 janvier, Samantha Power, ambassadrice des États-Unis aux Nations Unies, a publié le tweet suivant : « La décision du président rwandais Paul Kagamé de concourir pour un troisième mandat est un nouveau revers pour la démocratie en Afrique centrale ».
Au Burundi, en République démocratique du Congo, au Congo-Brazzaville, au Burkina Faso, lorsque les dirigeants ont voulu abroger les limites constitutionnelles bloquant leur candidature, ils se sont heurtés à de fortes résistances. Le président burkinabé a été chassé du pouvoir à l’automne dernier ; le président burundais est passé outre, plongeant le pays dans une crise violente. Au Rwanda, rien de tel. L’exercice autoritaire du pouvoir y est solidement établi, son efficacité bien réelle dans la surveillance des populations : nécessité, donc, d’exprimer publiquement son adhésion. On comprend que, dans ces conditions, une campagne minutieusement réglée et mise en œuvre a abouti à un plébiscite.
Cet article a été publié par The Conversation