« Je pense que les Etats membres, et ce Conseil, peuvent intervenir pour empêcher la répétition des horreurs du passé », avertissait le Haut-Commissaire aux droits de l'homme à l'ouverture, en novembre dernier, au Conseil de sécurité, de débats sur le Burundais. Zeid Ra'ad Al Hussein faisait notamment allusion au génocide perpétré contre les Tutsis en 1994 au Rwanda, voisin du Burundi.
Le Conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU pour la prévention du génocide, Adama Dieng abondait dans le même sens : « Etant donné que nous disposons d'informations claires sur la gravité de la situation, nous ne pourrons pas prétendre, si une situation de conflit total éclate, que nous ne savions pas. La Communauté internationale a la responsabilité de protéger les Burundais et de prévenir des atrocités ».
Même en dehors du système des Nations unies, des gouvernements et des organisations de la société civile avaient tiré la sonnette d'alarme.
Mais rien ou presque n'a changé depuis lors : l'inaction ou l'immobilisme de la communauté internationale continue de conforter dans leur détermination les auteurs de violences au Burundi. Et un très haut responsable des Nations unies vient d'avouer que son organisation n'aurait pas les moyens d'une réaction adéquate si le pire venait à se produire dans ce petit pays africain.
Le Burundi traverse une crise profonde depuis que le président Pierre Nkurunziza a été désigné fin avril 2015, candidat de son parti, pour un troisième mandat controversé à la tête de son pays. Dénoncée à l'intérieur comme à l'extérieur du pays comme une flagrante violation des textes fondamentaux du Burundi, sa réélection en juillet dernier n'a pas désarçonné l'opposition et la société civile de son pays qui continuent de réclamer son départ.
« Rien que du discours ! »
Après les nombreuses gesticulations de la communauté internationale depuis le début de la crise, les yeux étaient donc rivés sur New York, en novembre dernier. Mais la résolution 2248 du 12 novembre 2015 a tout simplement engagé le gouvernement burundais et les autres parties à rejeter toute forme de violence et à s'abstenir de « tout acte qui mettrait en péril la paix et la stabilité dans le pays ». Le Conseil de sécurité y a exhorté les autorités de Bujumbura « à garantir le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous », conformément à leurs obligations internationales. « Rien de nouveau ! Rien que du discours ! », résumait, amer, un député burundais membre de l'Assemblée législative de la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC), une organisation sous –régionale regroupant le Burundi, le Rwanda, la Tanzanie, le Kenya et l'Ouganda.
Après cette résolution a minima de New York, de nombreux espoirs avaient été placés dans la 565 ième réunion du Conseil de paix et de sécurité (CPS) l'Union africaine (UA). Le 17 décembre, le CPS autorisait, dans une décision fort médiatisée, « le déploiement d'une mission africaine de prévention et de protection au Burundi (Maprobu), pour une période initiale de six mois, renouvelable », et demandait « au gouvernement du Burundi de confirmer dans les 96 heures suivant l'adoption de ce communiqué qu'il accepte le déploiement de la Maprobu et de coopérer avec elle ». L'organe de l'Union africaine affirmait sa « détermination à prendre toutes les mesures appropriées contre toutes parties ou acteurs, quels qu'ils soient, qui empêcheraient la mise en œuvre de cette décision ».
L'Union africaine haussait ainsi le ton une semaine après l'attaque, le 11 décembre, de trois camps militaires à Bujumbura et en province, les affrontements les plus intenses au Burundi depuis la tentative de coup d'Etat militaire en mai 2015. Les affrontements et les opérations de ratissage qui s'en sont suivis ont fait officiellement 87 morts, mais des ONG et l'ONU dressent un bilan plus lourd.
La société civile burundaise, désormais actrice incontournable, avait loué le ton courageux de la décision panafricaine mais sans s'emballer. « Nous saluons la décision du Conseil de Paix et de Sécurité de l'UA sur le déploiement de la Maprobu. Mais là encore, il faut qu'ils y mettent toute la diligence possible. Prendre une décision est une chose, l'exécuter est une autre », avait ainsi réagi Pacifique Ninahazwe, un célèbre activiste en exil. Quels sont les pays prêts à fournir des troupes ? Qui financera une mission africaine de la taille de 5.000 hommes ? C'étaient là certaines questions qui justifiaient le relatif scepticisme du porte-parole de la société civile burundaise.
Le président Nkurunziza enfonce le clou
Mais il y a pire: l'intransigeance des maîtres de Bujumbura de plus en plus conscients du manque de fermeté d'une communauté internationale divisée, sans véritables intérêts économiques ou stratégiques au Burundi et préoccupée par d'autres priorités. « Le Burundi n'autorisera pas le déploiement sur son sol d'une mission de l'Union africaine qui serait considérée comme une force d'invasion et d'occupation si l'Union africaine passait outre le refus de Bujumbura », avait ainsi réagi, sans ambages, Jean-Claude Karerwa, porte-parole adjoint du président Pierre Nkurunziza. Le porte-parole du gouvernement Philippe Nzobonariba avait aussitôt renchéri : « Si l'Union africaine envoyait ses troupes sans le consentement du Burundi, cela serait perçu comme une attaque ».
Lors d'une conférence de presse ouverte au public le 29 décembre, c'est le président burundais en personne qui a enfoncé le clou, en invoquant la souveraineté nationale. « Tout le monde doit respecter les frontières du Burundi. Si les troupes (de l'UA) viennent (...), elles auront attaqué le Burundi, et chaque Burundais devra se lever pour les combattre. Le pays sera attaqué et nous les combattrons », a déclaré le chef de l'Etat qui s'adressait à ses administrés en langue nationale.
L'une des tâches de la Maprobu, selon le CPS de l'Union africaine, serait d'aider à créer les conditions propices à la reprise et à l'aboutissement des pourparlers inter-burundais interrompus en juillet dernier suite au retrait de la partie gouvernementale. Alors qu'elles étaient censées reprendre le 6 janvier à Arusha, dans le nord de la Tanzanie, le gouvernement burundais a réitéré son refus catégorique de dialoguer avec des représentants du Conseil national pour le respect de l'Accord d'Arusha et la restauration d'un état de droit au Burundi (CNARED), créé fin juillet 2015, à Addis-Abeba par des opposants et des membres de la société civile, dont d'anciens chefs présidents du Burundi.
Signé en 2000, au terme de longues négociations, l'Accord d'Ausha, considéré comme le socle du nouveau Burundi, avait permis de mettre fin à des années de guerre civile entre, d'une part, une armée alors dominée par la minorité tutsie et, d'autre part, des rébellions hutues dont est issu l'actuel homme fort du pays.
Pour Bujumbura, le CNARED, dont des membres font l'objet de mandats d'arrêt émis par la justice burundaise pour leur implication présumée dans le coup d'Etat manqué de mai 2015, n’est qu'une « organisation terroriste ». La place de ces « putchistes » se trouve donc, selon le chef de la diplomatie burundaise, Alain -Aimé Nyamitwe, non pas autour d'une table de négociations, mais plutôt devant la justice.
L'opposition, pour sa part, continue de réclamer le départ de Pierre Nkurunziza, dont la réélection en juillet dernier a violé, selon elle, l'accord d'Arusha et la Constitution de 2005, ce que conteste le camp présidentiel.
« Prions Dieu »
Quel espoir de voir les Burundais renouer le dialogue après le rendez-vous manqué du 6 janvier dans la petite ville tanzanienne ?
La crise burundaise sera sans doute au menu du prochain sommet de l'Union africaine à la fin du mois, à Addis-Abeba, en Ethiopie.
Mais les chefs d'Etat africains parviendront –ils à faire fléchir les autorités burundaises ? Peu probable, estiment de nombreux observateurs. Il est d'ailleurs possible que le président burundais, Pierre Nkurunziza, qui, selon son homologue rwandais Paul Kagame « s'enferme » et « se cache » depuis mai dernier, ne fasse même pas le déplacement d'Addis-Abeba.
Entretemps, la présidente de la Commission de l'Union africaine, Nkosazana Dlamini –Zuma, a écrit au secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, pour lui demander le « soutien entier » des Nations unies au déploiement de la Maprobu. La Conseil de sécurité n'a pas encore répondu mais il est prévisible qu'un tel soutien ne soit pas du goût de la Russie et de la Chine -deux membres permanents du Conseil de sécurité- et de pays africains siégeant actuellement au Conseil.
Pendant ce temps, au département des opérations de maintien de la paix de l'ONU, l'on ne croise pas les bras : la réflexion se poursuit sur les scénarii possibles sur le terrain et les réponses que devrait apporter la communauté internationale, notamment dans le pire des cas, c'est-à-dire si le Burundi basculait dans la « violence à caractère clairement ethnique et de bien plus grande ampleur et intensité », avec la perspective de « crimes contre l'humanité, crimes de guerre et génocide ».
Dans un mémorandum confidentiel adressé au Conseil de sécurité de l'ONU, le chef du département, Hervé Ladsous, reconnaît que « les Nations unies sont mal équipées pour monter le type d'opération d'imposition de la paix qui pourrait être requis » dans ce scénario extrême. Le document rappelle qu'il faudrait obtenir pour cela un mandat du Conseil de sécurité, des troupes de la part de pays membres et « une forme de consentement du gouvernement burundais » à un déploiement. Hervé Ladsous souligne qu'il s'agirait « d'une mesure à prendre en dernier recours » et rappelle que « les Casques bleus ne sont pas un corps expéditionnaire ». Dans cette hypothèse, « la protection des civils sera limitée à quelques zones dans Bujumbura même s'il est fort probable que les civils seront menacés dans tout le pays », note le document cité par l'AFP.
« Prions Dieu pour que les choses n'en arrivent pas là », conseille à ses concitoyens un évangéliste burundais, désormais en exil à Kampala, en Ouganda.