Germain Katanga voulait rentrer en République démocratique du Congo pour réintégrer l’armée ou devenir paysan, mais il n’en a pas fini avec la justice. « Il sera jugé pour des faits autres que ceux entendus par la CPI », la Cour pénale internationale, qui l’avait condamné en 2014 à 12 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, explique à JusticeInfo le ministre congolais de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba.
Germain Katanga, 37 ans, est natif de Mambasa, dans la province de l’Ituri (nord-est). Le 24 février 2003, il est accusé d’avoir participé à l’attaque du village Bogoro, où environ 200 personnes avaient été tuées. Il était à l’époque commandant des Forces de résistance patriotiques de l’Ituri (FRPI), l’un des nombreux groupes armés qui sévissaient dans la région sur base ethnique et pour le contrôle des ressources naturelles, dont l’or.
Après un accord de paix, « Simba » (lion, en swahili) a été promu brigadier général de l’armée en décembre 2004. En mars 2005, il a été arrêté à Kinshasa suite au meurtre de neuf Casques bleus bangladais perpétré un mois plus tôt en Ituri. Il est resté en détention provisoire jusqu’en octobre 2007 mais l’affaire n’a jamais été jugée : la RDC l’a transféré à la CPI, qui le recherchait pour les crimes de guerre et contre l’humanité commis à Bogoro.
En 2014, l’ex-chef rebelle a été écopé de 12 ans de prison et n’a pas fait appel. Le 19 décembre dernier, il a été transféré à sa demande de la Haye vers la capitale congolaise pour finir de purger sa peine. Il était accompagné de Thomas Lubanga, condamné en 2012 par la CPI à 14 ans de prison pour conscription et enrôlement d’enfants de moins de 15 ans dans une autre rébellion de l’Ituri, et qui doit être libéré en 2020.
Germain Katanga, lui, a bénéficié d’une réduction de peine pour bonne conduite et les regrets exprimés à l’endroit des victimes. Il devait sortir de prison le 18 janvier, mais des dispositions ont été prises pour l’y maintenir.
« Nous avons plusieurs dossiers en ce qu’il le concerne, et notamment celui des Casques bleus, mais je ne veux pas dévoiler les autres dossiers pour ne pas violer le secret de l’instruction », commente Alexis Thambwe Mwamba. « On fait les choses conformément à la procédure. Il a été notifié, il sait qu’il reste en prison », ajoute encore le ministre.
Le 21 janvier, Germain Katanga avait déposé un recours à l’attention de la Haute cour militaire de Kinshasa pour demander sa libération, arguant que sa détention était illégale. Pour l’heure sans succès. « Le procès devrait commencer aujourd'hui (29 janvier) mais c'est rapporté jusqu'à mercredi », a déclaré à JusticeInfo Me Caroline Buisman, qui a participé à sa défense à la CPI et doit arriver dimanche à Kinshasa.
Selon la décision de renvoi des autorités congolaises, Germain Katanga est mis en cause dans quatre dossiers impliquant des crimes commis entre 2003 et 2005 en Ituri. Dans une note datée du 22 janvier et adressée à la présidence de la CPI, la défense souligne que le lien entre ces affaires et leur client n’est pas avéré ou qu’ils ont été évoqués lors du procès de la CPI – violant ainsi la règle qu’un prévenu ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits. L’affaire des Casques bleus assassinés ne compte pas dans les charges portées mais les avocats de Germain Katanga craignent qu’elle ne ressurgisse.
Interrogé par JusticeInfo, Me Georges Kapiamba, président de l’Association congolaise pour l’accès à la justice (Acaj), estime qu’il est « logique » que Germain Katanga « puisse (…) répondre devant la justice congolaise » d’autres crimes présumés que ceux déjà jugés par la CPI. En revanche, le gouvernement doit « s'abstenir de toutes interférences dans le déroulement dudit procès, que nous souhaitons être juste et équitable ».
« Les victimes attendent du concret »
Pourquoi ne pas avoir jugé Germain Katanga avant de l’envoyer à la CPI ? « La justice internationale le voulait, nous l’avons laissé partir et continué investigations sur les dossiers qui le concernent ainsi que d’autres personnes, et nous avons estimé qu’il était indispensable qu’il soit entendu », confie Alexis Thambwe Mwamba, qui précise que s’il n’a pas les moyens d’assurer sa défense, « le barreau désignera un avocat pro deo ».
La défense souligne qu’en principe une nouvelle procédure ne peut commencer sans l’aval de la CPI. Et d’ores et déjà, elle relève des irrégularités pour lancer de nouvelles charges contre Germain Katanga, craint un procès inéquitable et soupçonne une manœuvre pour l'empêcher de retourner en Ituri. D’après elle, la décision aurait pu être jugée impopulaire dans la région et fragiliser le président Joseph Kabila qui, accusé par l’opposition de vouloir s’accrocher au pouvoir, termine son deuxième et dernier mandat dans un climat très tendu.
Interrogé par JusticeInfo, l’Association congolaise pour le respect des droits humains (ACRDH), qui couvre l’Ituri, n’exclut également pas une motivation officieuse, mais d’une autre nature. Junior Safari, son directeur exécutif, se demande notamment si Kinshasa ne cherche pas à « bloquer Germain Katanga pour essayer de le séparer de sa base », redoutant une « recrudescence [des attaques] de sa milice » alors que le pays est sous tension avec la paralysie du processus électoral.
Par ailleurs, il s’inquiète pour les victimes. « Même si on arrive à le juger et le condamner, tant qu’il n’y aura pas une réparation pour les victimes, ce sera une peine perdue. Les victimes attendaient quelque chose de concret de la CPI, et rien n’a été fait. Ce n’est pas auprès des autorités judiciaires congolaises que cela pourra se faire : l’expérience a montré qu’aucun jugement n’a déjà satisfait les victimes sur le plan des réparations. »
Le 23 décembre, revenant sur le dossier des Casques bleus assassinés, Human Rights Watch a demandé aux autorités congolaises de « garantir un procès équitable et rapide à Germain Katanga et ses trois co-accusés », Floribert Njabu, Sharif Manda, et Pierre-Célestin Mbodina, qui avaient été « emprisonnés arbitrairement pendant plusieurs années », avant de s’exprimer devant la CPI comme témoins de la défense dans le procès de Germain Katanga.
Craignant pour leur sécurité après leur témoignage, mouillant l’armée dans les violences en Ituri, les trois hommes avaient demandé l’asile aux Pays-Bas. Déboutés, ils ont été rapatriés en juillet 2014. « Des actes d’accusation modifiés ont été délivrés contre eux en octobre 2014, mais leur avocat n’a pu avoir accès à leur dossier qu’en octobre 2015 », où une audience était prévue devant la Haute Cour Militaire, chargée de l’affaire, affirme Human Rights Watch. Finalement, l’audience n’a pas eu lieu et aucune autre date n’a été fixée.
« Des informations importantes ont émergé lors du procès de Katanga devant la CPI, concernant le rôle des hauts responsables congolais dans le financement et l’aide aux groupes armés en Ituri, a rappelé l’organisation américaine. Il est essentiel que les poursuites engagées au niveau national contre ceux qui ont révélé ces informations à la CPI ne soient pas transformées en un procès de représailles politiques. »
Cet article a été complété le 29/01/2016