Le procès de l'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo devant la Cour pénale internationale (CPI) est très attendu en Côte d'Ivoire où ses partisans, comme ceux de son adversaire Alassane Ouattara, attendent "la vérité" sur la sanglante crise postélectorale qui a fait 3000 morts en 2010-2011.
Ce procès "a un rôle éminemment pédagogique aussi bien pour la Côte d'Ivoire que pour l'ensemble des chefs d'Etats africains qui s'accrochent au pouvoir", estime Yacouba Doumbia, du Mouvement ivoirien des Droits humains (MIDH).
M. Gbagbo comparaît jeudi à La Haye, accusé d'avoir fomenté une campagne de violences pour tenter, en vain, de conserver le pouvoir face à M. Ouattara. Son co-accusé Charles Blé Goudé était lui à la tête de la milice des "Jeunes patriotes", accusés d'avoir tué et violé des centaines de personnes dans le but de maintenir son mentor au pouvoir.
M. Gbagbo est "innocent de tout ce qu'on lui reproche. On a vécu ici en Côte d'Ivoire il n'a rien fait", assure Stéphane Billon, criminologue de 41 ans, dans un maquis d'Abidjan. Lui et ses amis estiment que le procès va permettre "que soit levé un coin de voile pour qu'on sache la vérité sur tout ce qui s'est passé".
Hyacinthe Nogbout, du Congrès panafricain pour la justice et l'égalité des peuples (Cojep) - le mouvement de M. Blé Goudé, devenu un parti - espère "que la justice sera rendue de façon équitable, impartiale".
Dans les bastions des accusés, leur procès doit être retransmis sur des écrans géants.
De nombreuses voix ont accusé le pouvoir de M. Ouattara de pratiquer une "justice des vainqueurs". Une frange de l'opposition estime que M. Gbagbo ne devrait pas être jugé à la CPI et accuse la justice ivoirienne de ne s'intéresser qu'aux partisans de l'ex-président sans enquêter sur des exactions commises par le camp Ouattara.
- Justice pour tous -
En jugeant "Laurent Gbagbo seul, on comprendra en fait une partie mais pas l'ensemble de ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire", analyse M. Doumbia. "Il y a des enquêtes (...) pour indexer aussi le camp de M. Ouattara" car il faut "qu'aucun camp ne puisse s'exonérer" pour que le procès "ait un impact véritable dans la société", dit-il.
Joel N'Guessan, porte-parole du Rassemblement des républicains (RDR), le parti de M. Ouattara, assure que la justice passera pour tous. "En matière de crimes contre l'humanité, en matière de crimes de guerre (...) les responsabilités sont individuelles, dit-il. M. Gbagbo est là-bas aujourd'hui, ceux qui doivent y être, y seront".
"Nous attendons que la vérité soit dite et nous attendons surtout que les victimes soient soulagées. Que la justice internationale dise: +voilà ce que M. Gbagbo a fait de lui-même ou que ses partisans ont eu à faire+", poursuit-il, la voix empreinte d'émotion.
"Enfin, ce jour est arrivé! On va juger Gbagbo pour tout le mal qu'il nous a fait. C'est une bonne chose, une très bonne chose", répète Maïmouna, la cinquantaine, qui a perdu son fils Ali, un "grand gaillard de 28 ans".
"Il a été tué par les gens de Gbagbo" à Abobo, quartier populaire d'Abidjan, théâtre de nombreuses exactions, raconte-t-elle.
Kassoum Dramé, 30 ans et sans emploi, montre sa main gauche déformée par une cicatrice. Il est handicapé après avoir reçu "neuf balles à l'abdomen, trois à la main".
"Je veux qu'il (Gbagbo) paie parce qu'il a gaché beaucoup de choses dans ma vie", dit-il. Il évalue le prix de son pardon à 800 millions de francs CFA, soit 120.000 euros.
Amélie Léa, 31 ans, a perdu ses deux frères dans l'ouest du pays: "Nous attendons ce jugement depuis très longtemps. Il y a des victimes de Laurent Gbagbo et des victimes de l'autre camp, celui de Ouattara. Donc, il faut vraiment une justice impartiale qui réjouisse les victimes! Un jugement doit être fait pour que nos coeurs soient apaisés".