C’est la première fois que la Cour pénale internationale (CPI) juge un ancien chef d’Etat. Le procès de l’ex-président ivoirien, Laurent Gbagbo, doit débuter le 28 janvier. Avec Charles Blé Goudé, le chef des Jeunes patriotes et éphémère ministre de la Jeunesse, Laurent Gbagbo doit répondre de crimes contre l’humanité commis suite à l’élection présidentielle de novembre 2010 en Côte d’Ivoire. Selon l’Onu, les violences post-électorales avaient fait plus de 3000 morts. Pour le procureur, les deux hommes auraient participé à « un plan commun », devant permettre à Laurent Gbagbo de conserver le pouvoir « par tous les moyens, y compris en commettant des crimes ».
Avec le yougoslave Slobodan Milosevic et le libérien Charles Taylor, Laurent Gbagbo est le troisième chef d’Etat à comparaître à La Haye devant la justice internationale. Arrêté en avril 2011 dans son palais présidentiel d’Abidjan par les forces de son successeur, Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo a été transféré dans la prison de la Cour sept mois plus tard. Dans la prison de Scheveningen, il retrouve alors son homologue libérien Charles Taylor, en procès devant le tribunal spécial pour la Sierra Léone, et incarcéré dans la prison de la CPI. L’ex-chef d’Etat sera reconnu coupable et condamné à 50 ans de prison, qu’il purge désormais au Royaume uni. Un autre détenu d’importance a précédé Laurent Gbagbo en prison. L’ex-président yougoslave, Slobodan Milosevic, a été poursuivi pour génocide et crimes contre l’humanité commis en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo, mais est décédé en mars 2006, avant de connaître le verdict. Milosevic avait été envoyé à La Haye après avoir été défait par les urnes et renversé par la rue serbe en octobre 2000. Comme pour Laurent Gbagbo, la justice internationale le plaçait à l’écart de la scène politique de son pays.
La bataille de l’Histoire
Pour ces trois hommes, la bataille de La Haye est, ou a été, celle de l’Histoire. Tous trois veulent se départir du label de criminel de guerre qui, une fois inculpé, leur colle à la peau, et offrir aux générations futures une autre version de leurs actions passées. Tous trois ont aussi vu dans leur sort judiciaire le fruit d’un complot ourdi hors de leurs frontières. Charles Taylor fustigeait le néo-colonialisme supposé de l’Occident, et assurait que ses guerres résultaient de son refus d’accéder aux volontés américaines - voire même chinoises, comme l’avait dit son avocat lors des dernières plaidoiries – visant à installer durablement leurs multinationales du pétrole. Pour Slobodan Milosevic, la dislocation de la Yougoslavie avait été fomentée par l’Allemagne, les Etats-Unis et le Vatican. Pour Laurent Gbagbo, c’est la France, soutenant une rébellion désormais au pouvoir, qui a organisé sa chute. Mais quelle que soit la part de vérité, c’est pour les crimes commis contre des civils qu’ils sont chacun poursuivis. A Laurent Gbagbo, l’accusation reproche d’avoir envoyé ses troupes régulières, appuyées par des miliciens et des mercenaires, cibler les partisans de son rival Alassane Ouattara. Dans ce procès, le procureur s’intéresse peu aux actes des rebelles, que les avocats de Gbagbo comptent bien sûr mettre en perspective.
Laurent Gbagbo pèse toujours sur la vie politique ivoirienne
Tout au long de leur procès, Charles Taylor et Slobodan Milosevic ont promis des révélations fracassantes. Taylor avait bien tenté d’égratigner celle qui est à la tête du Libéria, Ellen Johnson-Sirleaf, et avec laquelle il avait débuté sa « révolution » à la fin des années 1980. Mais l’avocat du libérien avait néanmoins confié que son client n’était pas « désespéré » au point de tout révéler. « Imaginez-vous que s’il était jugé, George Bush révèlerait tous les secrets de la CIA ? » Charles Taylor comptait sur le temps pour convaincre ses pairs de le laisser sortir. Laurent Gbagbo semble lui aussi jouer la montre. Ses avocats réclament sans relâche du temps aux juges. Comme Laurent Gbagbo, Slobodan Milosevic a parfois joué, depuis La Haye, les troubles fêtes lors d’échéances électorales en Serbie. Avec le temps, il a néanmoins dû se résigner. A Belgrade, on ne revendiquait plus son héritage. Plus de quatre ans après son départ pour La Haye, Laurent Gbagbo continue de peser sur la vie politique ivoirienne. Son parti se déchire et les candidats viennent au parloir de la prison chercher l’adoubement du chef. Quant au gouvernement ivoirien, il suit de près les procédures en cours à La Haye. Ses avocats, les français Jean-Pierre Mignard et Jean-Paul Benoit ont même souhaité participé au procès. Comme lors de précédentes audiences, les supporters de l’ancien président ivoirien prévoient de venir en force pour manifester devant la Cour, tandis que le procès du libérien n’a jamais motivé les foules. Quant à Milosevic, ce sont les victimes, notamment les Mères de Srebrenica, qui venaient par autocars de Bosnie lui réclamer des comptes. Refusant d’être représenté par d’autres, Milosevic s’était défendu seul face à ses juges, s’offrant de fait une tribune, néanmoins rapidement désertée après le début de ce procès de quatre ans. En son temps, Charles Taylor notait sur des post-it les questions qu’il passait à ses avocats. Jusqu’ici, Laurent Gbagbo laisse à son équipe, conduite par le français Emmanuel Altit, le soin de gérer la procédure. Mais lors de sa première audition par la Cour, en décembre 2011, il avait promis d’aller « jusqu’au bout ». Une fois tombés dans les filets de La Haye, leurs pairs ne les ont pas défendus. Au premier jour de leur procès, toujours présumés innocents, l’histoire les avait déjà en partie condamnés.