Le très attendu procès de l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo s'ouvre jeudi devant la Cour pénale internationale, cinq ans après des violences qui ont déchiré une Côte d'Ivoire toujours en quête de "vérité".
Laurent Gbagbo, 70 ans, est le premier ex-chef d'Etat poursuivi par la CPI. Lui et son co-accusé Charles Blé Goudé, 44 ans, ancien chef de milice, doivent répondre de crimes contre l'humanité: meurtres, viols, actes inhumains et persécutions.
Ils sont poursuivis pour leur rôle dans la crise née du refus de M. Gbagbo de céder le pouvoir à Alassane Ouattara à l'issue de l'élection présidentielle de fin 2010.
Les violences avaient fait plus de 3.000 morts en cinq mois et M. Gbagbo avait finalement été arrêté en avril 2011 après plusieurs jours de bombardements de la force française Licorne.
L'audience débutera à 09h30 (08h30 GMT). La procureure Fatou Bensouda et son équipe prendront la parole avant les représentants des 726 victimes admises aux procédures. La défense s'exprimera ensuite, probablement à partir de vendredi.
Plus d'un millier de partisans de M. Gbagbo sont attendus pour une manifestation jeudi devant les bâtiments de la CPI, à La Haye.
L'ex-président ivoirien est accusé d'avoir fomenté une campagne de violences pour tenter, en vain, de conserver le pouvoir. Charles Blé Goudé aurait, lui, été à la tête d'hommes ayant tué et violé des centaines de personnes dans le but de maintenir l'ex-chef de l'Etat au pouvoir.
Mais pour le camp Gbagbo, ce dernier est un chantre du multipartisme et la France, ancienne puissance coloniale, est derrière le "complot" qui a entraîné la chute de ce farouche nationaliste.
- Faire éclater la vérité -
Reporté à plusieurs reprises, ce procès est attendu autant par le camp Ouattara que par celui de Gbagbo, d'autant qu'il repose la question cruciale des rapports entre justice et réconciliation.
Dans les bastions des deux accusés, des écrans géants seront installés pour que la population puisse suivre les procédures.
Pour ses partisans à Abidjan, l'ancien président est "innocent" et le procès va permettre de "lever un coin de voile pour qu'on sache la vérité sur tout ce qui s'est passé", assure l'un d'entre eux.
La "vérité" tant attendue en Côte d'Ivoire, premier producteur mondial de cacao et moteur économique de l'Afrique de l'Ouest, accusation et défense ont promis de la faire "éclater".
"L'objectif de cette procédure est de faire éclater la vérité pour que justice soit rendue aux victimes et d'empêcher que d'autres crimes de masse ne soient commis", a déclaré la procureure Fatou Bensouda, lors d'une conférence de presse mercredi.
L'avocat de M. Gbagbo, Emmanuel Altit, a rétorqué que son client aborde son procès "avec confiance" et "veut que la vérité, toute la vérité soit dite, pour que les Ivoiriens puissent se réapproprier leur propre histoire".
L'avocat de M. Blé Goudé, Geert-Jan Knoops, a déclaré que son client est "un homme de paix".
Laurent Gbagbo, dont la santé est "fragile", selon ses avocats, avait été livré à la CPI en 2011. Charles Blé Goudé avait, lui, été transféré à La Haye en 2014.
- 'Personne n'est intouchable' -
Aucun membre du camp Ouattara n'a encore été inquiété par la CPI, ce qui lui vaut parfois d'être taxée de "justice des vainqueurs", mais le bureau du procureur a promis d'intensifier son travail sur cette enquête.
Tous les auteurs présumés des crimes doivent pourtant être jugés, soutient Gaëtan Mootoo, de l'ONG Amnesty International: "C'est la seule manière de s'assurer que justice soit rendue".
L'accusation assure disposer de 138 témoins, qui ne seront pas tous appelés en audience. Elle va présenter plus de 5.300 éléments de preuve et axer son dossier sur quelques attaques "représentatives".
Le procès devrait durer entre trois et quatre ans.
Ces attaques au caractère "généralisé" et "systématique" étaient dirigées contre "des communautés ethniques ou religieuses spécifiques", assure l'accusation dans un document reprenant les charges.
Simone Gbagbo, épouse de Laurent, a été condamnée à 20 ans de prison en Côte d'Ivoire pour son rôle dans la crise, en compagnie de 78 autres personnes.
Selon Jim Wormington, chercheur pour l'ONG Human Rights Watch, "ce procès montre que d'anciens chefs d'Etat qui ont un jour pensé être intouchables peuvent être amenés devant la justice".