« Il n'est pas rare de voir des cadavres à Bujumbura ces jours-ci. Il y en a dans les rues, dans les canaux de drainage, dans les buissons et dans les rivières », écrivait le 06 octobre dernier un journaliste burundais travaillant pour IRIN.
Personne n'a pu démentir ce constat partagé trois jours plus tard par trois organisations dont la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH). « L'arbitraire, la violence et l'impunité règnent aujourd'hui au Burundi. Les populations vivent sous le joug d'une peur exacerbée par la persistance d'exécutions sommaires et extra-judiciaires, d'arrestations et détentions arbitraires massives, d'allégations d'actes de torture, de menaces et actes d'intimidation, principalement du fait des autorités en place. Un embrasement de la situation est possible tant que des mesures d'envergure et coordonnées ne seront pas prises par la communauté internationale », alertaient la FIDH, la Ligue burundaise des droits de l'homme ITEKA et la Ligue des droits de l'homme dans la région des Grands lacs (LGDL).
Dans leur communiqué conjoint, les trois organisations déploraient, à l'instar de beaucoup de partenaires internationaux du Burundi, la rupture du dialogue entre le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD) du président Pierre Nkurunziza et les principales formations politiques de l'opposition. En effet, que ce soit pour l'Union africaine, l'Union européenne, les Etats-Unis et les Nations unies, seul un dialogue inclusif peut aider à sortir ce petit pays de 10 millions d’habitants de la crise dans laquelle il s'enlise chaque jour davantage depuis quelques mois.
En guise de réponse, le président Pierre Nkurunziza qui s'est fait plébisciter en juillet dernier pour un troisième mandat controversé à la tête de son pays, a publié le 23 septembre un décret créant une « Commission nationale de dialogue inter-burundais ».
Mais dès sa publication, le nouveau décret a soulevé un certain nombre d'interrogations. Quels seront les protagonistes ? Qui assurera la médiation dans un contexte où la détérioration de la confiance mutuelle entre les principaux acteurs de la crise se trouve à son paroxysme ? Où se déroulera ce dialogue étant donné que nombre des principaux adversaires du régime ont récemment pris le chemin de l'exil, affirmant craindre pour leur sécurité ? Et, enfin, quel sera l'agenda de ce rendez-vous ?
Pas de dialogue avec les contestataires du troisième mandat
La position du gouvernement est déjà connue. Pas question de médiateur étranger, ni de dialogue avec les contestataires du troisième mandat, qualifiés par le régime de fauteurs de troubles et assimilés à des putschistes en raison de soupçons d'un éventuel soutien au coup d'Etat manqué du 13 mai dernier. « Ceux-là, il n'y a d'autre solution que de les attraper et de les juger », répète invariablement Willy Nyamitwe, porte-parole du président Pierre Nkurunziza. Le gouvernement a d'ailleurs émis des mandats d'arrêt internationaux à leur encontre
Ainsi, est d'office exclu du dialogue le Conseil national pour le respect de l'Accord d'Arusha (Tanzanie) pour la paix et la réconciliation au Burundi et de la restauration de l'Etat de droit, (CNARED) créé fin juillet à Addis- Abeba, en Ethiopie, par les représentants des partis politiques de l'opposition burundaise ainsi que ceux de la société civile.
« C'est le dialogue, selon Saint Pierre du CNDD-FDD», plaisante un avocat burundais.
En excluant ses vrais adversaires, le régime veut ainsi éviter le moindre débat sur « les questions qui fâchent ». Donc, pas de retour sur le troisième mandat de Pierre Nkurunziza, question pourtant à l'origine de la crise actuelle. Pour Willy Nyamitwe, le peuple burundais, « qui est souverain », s'est déjà exprimé.
Selon l'ancien deuxième vice-président du Burundi, Gervais Rufyikiri, en fuite à l'étranger après avoir dénoncé le troisième mandat de son chef, cette grand-messe que prépare le gouvernement sera donc tout, sauf un dialogue authentique. « Normalement, le vrai dialogue se passe entre les personnes qui ont un point de vue opposé sur une question quelconque. Or, le dialogue initié par le président Nkurunziza, est un dialogue qui va rassembler les personnes qui le soutiennent », réagissait l'ancien vice-président sur la VOA, au lendemain de la publication du décret présidentiel.
Les mêmes causes produisent les mêmes effets…
« Dialogue ou monologue ? », renchérissait le célèbre journaliste et activiste burundais Antoine Kaburahe, sur le site www.iwacu-burundi.org. Pour lui, le parti au pouvoir « doit choisir et ne pas oublier que, lors des négociations d'Arusha, au début, les médiateurs ont commis l'erreur d'exclure une branche armée ». « Le pays a payé cher cette stratégie non inclusive », rappelle Kaburahe, soulignant que le gouvernement actuel « apparemment amnésique, semble oublier que les mêmes causes produisent les mêmes effets… ».
Signé en 2000 à l'issue de longues négociations, l'accord d'Arusha a ouvert la voie à la fin de la guerre entre l'armée burundaise, alors dominée par la minorité tutsie, et des rébellions hutues. Il est considéré comme le socle du nouveau Burundi.
Gabriel Rufyiri, président de l'Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME), rappelle, lui aussi, que la politique de l'autruche n'a jamais payé au Burundi. Il en donne pour exemple le dialogue organisé en 1990 par le gouvernement du président Pierre Buyoya autour de la question de l'unité nationale. « Les problèmes réels n'avaient pas été discutés. Il a fallu les négociations d'Arusha et de cessez-le-feu où les vraies parties en conflit ont discuté sans faux fuyant pour trouver des solutions aux vrais problèmes de l'époque».
Mais le gouvernement affirme n'avoir pas de leçon de morale à recevoir ni de Kaburahe, ni de Rufyiri.
Que répond-il alors à la puissante et prudente église catholique qui, dans un message publié une semaine avant la publication du décret présidentiel, recommandait déjà un dialogue sans exclusive ? Dans ce message lu dans toutes les églises paroissiales du pays, les évêques catholiques du Burundi appellent leurs compatriotes à « s'asseoir ensemble, sans exclure personne et sans que personne ne s'exclue afin de diagnostiquer ensemble la maladie qui nous afflige et trouver le remède approprié ». « Si nécessaire, n'ayons pas peur de recourir aux médiateurs qui nous y aident», conseillent ces prélats dont les fidèles représentent au moins 60 % de la population du Burundi.