Ce 28 Janvier, l'ex-président Ivoirien Laurent Gbagbo et l'ancien ministre de la jeunesse et chef de milice Charles Blé Goudé faisaient face aux juges à la Cour pénale internationale à La Haye, Pays-Bas, pour le premier jour de leur procès. Les deux hommes sont jugés pour des crimes qui auraient été commis dans le but de maintenir Gbagbo au pouvoir après les élections présidentielles de 2010. Les deux hommes clament leur innocence.
Mais dans la capitale ivoirienne d'Abidjan, à quelque 5.000 km de La Haye, la population veut voir une justice qui va au-delà d’un verdict de coupable ou innocent pour les deux hommes. Abidjan a été le théâtre des épisodes parmi les plus violents de la crise post-électorale de 2010. Environ 66% des habitants s’identifient comme victimes de ces violences, selon un sondage réalisé par la Harvard Humanitarian Initiative (HHI) en 2013.
Pour beaucoup, il ne fait aucun doute que Gbagbo porte une certaine responsabilité. La plupart (70%) voient les politiciens et leur lutte pour le pouvoir comme les principaux responsables des violences. Mais les violences post-électorales ne sont qu’un symptôme d'un fossé profond entre le gouvernement et sa population. A Abidjan, juste un adulte sur dix pense que les élus représentent les intérêts de la population; et il est peu probable que la confiance dans le gouvernement se soit améliorée dans les années qui ont suivi la crise de 2010. Alassane Ouattara - l'adversaire victorieux de Gbagbo en 2010 - a été réélu président en 2015, mais le pays n'a pas fait beaucoup de progrès vers un dialogue politique.
Peut-être plus important encore, le pays doit encore faire face à son passé. Dans l'enquête de 2013, les répondants ont souligné la nécessité de comprendre ce qui est arrivé et pourquoi, notant qu’établir la vérité est une composante essentielle de la justice. Une « Commission Dialogue-Vérité et Réconciliation » a bien été créé à cet effet, mais elle a produit peu ou pas de résultats. Et le procès de Gbagbo et Blé Goudé ne contribuera probablement pas plus à l'établissement d'un récit équilibré du conflit et des violences.
Le procès de Gbagbo est également peu susceptible de changer la méfiance et les divisions qui existent dans la population. A Abidjan, les divisions ethniques étaient identifiées comme la deuxième cause la plus fréquente des violences de 2010. Environ deux tiers des répondants estiment n’avoir que peu ou pas confiance envers leurs voisins (69%), envers les membres de leur propre groupe ethnique (62%), ou envers des membres d'un autre groupe ethnique (69%). Cette méfiance entre personnes a des conséquences considérables sur le sentiment d'insécurité et le manque de solidarité et de soutien dans la société.
En 2013, les personnes interrogées ont dit que la vraie justice et la réconciliation exigent un dialogue politique et inter-communauté, des réformes institutionnelles, la vérité, l'emploi et la réduction de la pauvreté. C’est beaucoup plus que ce qu’un procès international peut offrir - même le procès d'un ex-président.
Côte d'Ivoire : le procès de Gbagbo ne changera pas la méfiance et les divisions, selon une étude de l'Harvard Humanitarian Initiative
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