Germain Katanga, 37 ans, a comparu mercredi devant la Haute cour militaire de Kinshasa, qui le juge avec six autres prévenus pour des crimes commis au début des années 2000 dans l’Ituri, une province du nord-est de la République démocratique du Congo. Son cas sort de l’ordinaire : il s’agit de la « première fois que de nouvelles poursuites sont engagées à l’encontre d’un individu déjà condamné par la CPI », relève Human Rights Watch dans un communiqué.
En 2014, la Cour pénale internationale (CPI) l’avait condamné à 12 ans de prison pour complicité dans les crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés le 24 février 2003 lors de l’attaque à Bogoro, où environ 200 personnes auraient été tuées. Il était alors commandant dans les Forces de résistance patriotiques de l’Ituri (FRPI), une rébellion que ses co-accusés ont soutenue dans la branche militaire ou politique, appelée Front national intégrationniste (FNI).
Germain Katanga avait choisi à finir sa sentence en RDC et devait sortir de prison le 18 janvier, suite au retrait de ses sept ans de détention préventive et sa remise de peine pour bonne conduite et les regrets exprimés. Mais Kinshasa a lancé de nouvelles poursuites : entre 2003 et 2005, il est accusé de participation à un « mouvement insurrectionnel », « crime de guerre par la conscription ou l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans » et crimes contre l’humanité par « meurtre ».
Il devait à l’origine comparaître le vendredi 29 janvier, quelques jours après avoir été notifié des charges. Finalement, l’audience s’est ouverte mercredi sans partie civile mais en présence de diplomates, défenseurs des droits de l’Homme, ainsi que des avocats David Hooper, Caroline Buisman et Sophie Menegon. Ces trois conseils, qui l’avaient représenté à la Haye, craignent un procès inéquitable, politiquement motivé et violant le principe selon lequel un prévenu ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits.
« Je m’appelle Germain Katanga, général de brigade », a indiqué le prévenu aux juges, vêtu de l’uniforme de l’armée, comme trois de ses co-accusés. L’ex-rebelle a en effet été nommé général de brigade en 2004 après la signature d’un accord de paix. Le jugement de la Haute cour militaire ne peut pas faire l’objet d’appel, provoquant l’inquiétude des organisations de droits de l’Homme, mais Germain Katanga semblait serein. Il a d’ailleurs échangé plusieurs fois des mots et sourires avec ses compagnons.
Sa défense, elle, était remontée. Elle a martelé que Germain Katanga subissait une détention « arbitraire et irrégulière », portant « atteinte à ses droits et sa dignité ». Surtout, elle a souligné que la Haute cour devait se déclarer « incompétente », arguant que, selon le statut de Rome créant la CPI, il ne peut être jugé pour des « faits antérieurs à son transfèrement » en RDC sans l'accord de la CPI. « Pour l’honneur de notre pays, vous devez vous déclarer incompétente. Notre client doit être déclaré libre », a lancé l’un des défenseurs.
L’affaire renvoyée au 19 février
Alors que le président de la Haute cour militaire¸ Jean Bivekete Pinga Solo, ne s’est pas prononcé sur cette « exception déclinatoire de compétence pour absence d’objet à poursuivre », David Hooper renvoie la balle dans le camp de la CPI. « La RDC lui a demandé d’être la cour de dernier recours (…) alors quelle est sa fonction » si elle n’empêche pas la procédure congolaise, a-t-il répondu, interrogé par JusticeInfo. « La CPI aura l’air ridicule » si le procès continue, a-t-il conclu.
Lors de l’audience, deux prévenus prenaient quelques notes : Floribert Ndjabu et Pierre-Célestin Mbodina, en détention préventive depuis 11 ans et qui comparaissaient aussi pour la première fois. Floribert Ndjabu a annoncé qu’il récusait le président de la Haute cour parce qu’« impliqué dans [sa] longue détention » et parce qu’il a appartenu à un « autre groupe » armé, hostile au sien. Le juge a balayé les remarques en dénonçant des « manœuvres dilatoires » et une « tentative de blocage ».
L’affaire a été renvoyée au 19 février. Ce temps doit permettre à la défense de mieux se préparer mais Human Rights Watch et le Bureau conjoint de l’ONU pour les droits de l’Homme (BCNUDH) espèrent que les autorités en profiteront pour se mettre en règle. « En plus d’assurer un procès équitable, il est important que le renvoi serve à obtenir l’autorisation obligatoire de la CPI avant de poursuivre la procédure », explique à JusticeInfo Jose Maria Aranaz, chef du BCNUDH.
En attendant, les spéculations vont toujours bon train sur le procès de Germain Katanga, que d’aucuns qualifient de « politique ». Certains avancent que la RDC cherche entre autres à « dissuader » Jean-Pierre Bemba de rentrer au pays. L’ex-chef de guerre devenu vice-président (2003-2006) est jugé à la CPI pour des crimes de guerre et crimes contre l’humanité que ses troupes auraient commis en 2002-2003 en Centrafrique. Le verdict sera rendu le 21 mars, mais il est par ailleurs jugé pour subornation de témoins.
En 2011, son Mouvement de libération du Congo (MLC), aujourd’hui deuxième parti d’opposition parlementaire, l’avait désigné candidat à la présidentielle – bien qu’il était détenu à la Haye depuis 2008. S’il revenait, ses partisans l’imaginent bien briguer la course à la magistrature suprême prévue en novembre 2016 – dix ans après qu’il a perdu face à l’actuel chef de l’Etat, Joseph Kabila, qui ne peut se représenter mais est accusé par l’opposition de vouloir s’accrocher au pouvoir.