Depuis la fin de la campagne pour l'élection du 18 février dernier remportée par le président Yoweri Museveni au pouvoir depuis 30 ans, son principal opposant est tantôt assigné à résidence surveillée, tantôt dans les locaux de la police. Le docteur Kizza Besigye a été de nouveau arrêté lundi par la police à la sortie de son domicile alors qu'il voulait se rendre, avec des supporters, au bureau de la Commission électorale, pour retirer les résultats officiels, en vue d'un éventuel recours judiciaire, même s’il dit ne pas avoir confiance dans la justice de son pays. Il a finalement été libéré mardi mais ses mouvements seront "limités".
Selon les résultats publiés le samedi 20 février par la Commission électorale, Yoweri Museveni qui ne rougit pas de s'appeler "le vieil homme" a remporté la victoire avec 60,8 % des suffrages exprimés, contre 35,4 % pour son principal challenger Kizza Besigye, suivi de l'ex-Premier ministre Amama Mbabazi avec 1, 71 % des voix. Les cinq autres candidats, dont une femme, ont recueilli chacun moins d'un pour cent des voix.
Le processus électoral été a unanimement critiqué par les observateurs du Commonwealth, des Etats-Unis et de l'Union européenne.
Parmi les candidats malheureux, Besigye est celui qui dénonce avec le plus de force le déroulement de tout le processus, depuis le début de la campagne électorale jusqu'au décompte des voix.
Lors d'une conférence de presse à son domicile assiégé par les forces de sécurité après la proclamation de la victoire de son ancien patient, l'opposant historique a ainsi réclamé un « audit international » de ces élections et appelé les Ougandais à « ne pas coopérer » avec le gouvernement. Soulignant qu'il venait d'être arrêté une quarantaine de fois au moins depuis le début de la campagne électorale, il a affirmé qu'il n'y avait aucune différence entre le gouvernement et le Mouvement de résistance nationale (NRM), le parti au pouvoir. Lui-même colonel à la retraite, le candidat du Forum pour le changement démocratique (FDC) a accusé les forces de sécurité – la police et l'armée- de violer les droits des citoyens, de torturer et tuer.
Besigye, qui se présentait pour la quatrième fois à la présidentielle, a souligné que cette situation n'était pas nouvelle, qu'il s'y attendait. « Nous savions que ces élections n'allaient pas être libres, ni équitables », a-t-il dit. Pourquoi alors y avoir participé ? Selon lui, l'objectif était surtout de mettre en relief, pour ceux qui pouvaient encore en douter, que le président Museveni, 71 ans, est résolu à se maintenir au pouvoir par la force. Aujourd'hui âgé de 59 ans, l'opposant a annoncé qu'il poursuivrait son combat « jusqu'à ce que nous ayons un gouvernement décent ».
Les accusations portées par Besigye contre le régime ont été relayées, en termes moins crus, par les observateurs internationaux qui ont dénoncé quasi- unanimement un processus électoral marqué par des arrestations d'opposants, des restrictions de leur liberté de mouvement, l'intimidation de certains médias indépendants, de nombreuses irrégularités injustifiées le jour des élections et un manque de transparence caractérisé notamment par le blocage par surprise de tous les médias sociaux le jour de l'élection et pendant le décompte des voix. Le processus n'a été ni libre, ni transparent, ont conclu les observateurs de l'Union européenne et des Etats-Unis, relevant également le manque d'indépendance de la Commission électorale.
A Washington, Mark Toner, le porte-parole adjoint du Département d'Etat, a déclaré que l'élection ougandaise avait été « profondément en contradiction avec les standards internationaux et ce qu'on pouvait attendre d'un processus démocratique ». Les Ougandais « qui ont participé activement et paisiblement aux élections du 18 février méritaient mieux », a poursuivi le diplomate américain, demandant en vain la remise en liberté de Kizza Bezigye. Washington a cependant « encouragé ceux qui veulent contester les résultats des élections à le faire pacifiquement, dans le respect des lois et procédures judiciaires ougandaises, et a exhorté le gouvernement ougandais à respecter les droits et les libertés de son peuple en se gardant d’interférer dans ces procédures judiciaires ».
« Je ne suis pas un plaisantin »
Mais Besigye affirme que le pouvoir le malmène pour qu’il n’ait pas le temps de préparer son recours judiciaire qu’il doit déposer, conformément à la loi ougandaise, dans un délai de 10 jours à compter de la proclamation des résultats par la Commission électorale. De plus, il ne cache pas son manque de confiance dans le système judiciaire de son pays, même si, selon lui, cette requête judiciaire reste envisagée pour le moment du moins pour l’Histoire et la communauté internationale.
Réagissant à toutes ces critiques alors qu'il savourait sa victoire dans son village natal de Rwakitura, dans l'ouest de son pays, Yoweri Museveni a déclaré dédaigneusement. « Je ne suis pas un plaisantin ». Le président ougandais, qui s'adressait à la presse, a réitéré qu'il n'avait « pas de leçon à recevoir de qui que ce soit en ce qui concerne les élections ». « J'ai organisé des élections depuis 1963 à Ntare », nom du prestigieux établissement scolaire où il fit ses études secondaires avant l'université, plus tard, à Dar es Salaam, en Tanzanie. L'homme fort de Kampala a par ailleurs rejeté les accusations de fraude, en donnant pour preuve le fait d'avoir été battu par Besigye dans certaines circonscriptions, dont la capitale, Kampala. Au contraire, a-t-il poursuivi, parlant de lui-même à la troisième personne du singulier, « les bulletins de vote déclarés nuls, c'étaient aussi des voix de Museveni. »
S'agissant de la restriction des mouvements de son principal opposant, Museveni a expliqué que Besigye n'était pas au-dessus de la loi. Un argument repris le lundi 22 février par le général Kale Kayihura, le chef de la police ougandaise, lors d'une conférence de presse au siège de la Commission électorale où l'opposant voulait se rendre dans la matinée, accompagné, de ses supporters pour retirer les résultats officiels, en vue d'un éventuel recours devant la justice. « Nous ne pouvons pas accepter ce comportement insensé consistant à défier la loi. Il était censé nous informer trois jours avant la marche» conformément à la loi, a expliqué le général Kayihura, soulignant que Besigye « n'est pas spécial ».
« Pourquoi ses représentants n'ont-ils pas attendu les résultats au centre national de décompte de votes ? Pourquoi ne peut-il pas envoyer ses représentants retirer les résultats ici ? Pourquoi doit-il organiser une marche depuis sa maison pour aller demander ses résultats ? », a demandé le général-chef de la police, accusant le candidat du FDC de vouloir tout simplement semer le chaos à Kampala. « Nous avons des renseignements selon lesquels, il prépare des violences et dispose de casseurs qui sont en train de préparer des actes de destruction dans la ville », a renchéri Fred Enanga, porte-parole de la police.
L'opposant a finalement été libéré dans la journée de mardi mais ses mouvements restent limités. La police, dont un dispositif est toujours déployé au domicile de Besigye, continue d'affirmer qu'elle détient des informations selon lesquelles il voulait soulever la population contre le gouvernement.