Il y a dix ans, se terminait la longue guerre civile au Népal, un pays himalayen où de graves violations des droits de l'homme ont été commises par les forces gouvernementales et les rebelles maoïstes. Pendant des années, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a déclaré à plusieurs reprises que le Népal était responsable de violations flagrantes des droits de l'homme contre ses propres citoyens, arrestations illégales, tortures et disparitions forcées. Pourtant, malgré ces déclarations de l'ONU, rien n'a été fait et pas une seule personne n'a été poursuivie. La plupart des auteurs présumés sont des acteurs étatiques. Les ONGs TRIAL, REDRESS et Advocacy Forum lancent aujourd'hui une campagne conjointe demandant justice pour les victimes au Népal.
Cette campagne, intitulée “Real Rights Now” demande au gouvernement d'agir selon les déclarations de l'ONU et de reconnaître enfin les droits des victimes. Elle comprend un site Web avec les histoires des victimes et des outils pour agir.
Pour en savoir plus sur cette campagne, Justiceinfo.net a parlé à Sarah Fulton de REDRESS. Dans cette interview, nous lui avons demandé ce qui s’est passé au Népal et quels crimes ont été commis.
Sarah Fulton: De 1996 à 2006, le Népal a été marqué par un conflit entre les forces gouvernementales et les rebelles maoïstes. Des civils se sont retrouvés entre les deux camps, avec les deux parties commettant de graves violations des droits humains, comme des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des arrestations arbitraires, l’usage de la torture, y compris les viols et d'autres formes de violences sexuelles. Durant cette période, plus de 17 000 Népalais ont été tués, et plus de 1 1 300 ont disparu. Ce qu’ils sont devenus, où et comment ils ont disparu demeure inconnu. Beaucoup ont été soumis à de longues périodes de torture et d'emprisonnement, ou déplacés de leurs foyers.
Les victimes de ces crimes demandent justice au Népal depuis la fin du conflit. Ils ont déposé des plaintes auprès de la police, des tribunaux, des commissions d'enquête, et de la Commission nationale des droits de l'homme. Une Commission Vérité et Justice et une Commission sur les disparitions forcées ont été établies, mais celles-ci sont critiquées par les victimes et leurs proches, la société civile et nombre d’intervenants de la communauté internationale en raison de leur absence de consultation réelle avec des victimes et parce qu’elles risquent d’entretenir l’impunité. Malgré tous ces efforts et malgré tous les discours sur les processus de justice transitionnelle, aucun de ces cas n’a donné lieu à une enquête criminelle appropriée ; pas une seule personne n'a été poursuivie ; aucune des victimes n’a bénéficié de véritables réparations.
JusticeInfo: Vous parlez de décisions du Comité des droits de l'homme qui n'ont pas été mises en œuvre par le gouvernement du Népal. Pouvez-vous nous donner quelques exemples?
SF: Compte tenu des difficultés à obtenir justice au Népal, un certain nombre de Népalais ont soumis leur cas directement au Comité des droits de l’homme de l'ONU, en vertu d'une procédure acceptée par le Népal. Le Comité peut examiner les cas et décider si le Népal est responsable d'une violation des droits de la personne en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité a déjà accepté 11 des cas apportés par les victimes représentées par nos organisations. Pour chaque cas, le Comité a constaté de multiples violations des droits de l'homme fondamentaux et exige que le gouvernement du Népal réponde en enquêtant rapidement sur les crimes, qu’il poursuive les responsables, apporte des changements à sa législation et accorde réparation aux victimes, y compris des indemnisations et aide à leur réadaptation.
Les cas comprennent un certain nombre d’exemples de disparitions forcées, où le Comité a dit au Népal qu'il doit révéler le sort de la personne disparue et fournir des informations à la famille sur les résultats de l'enquête. Le premier de ces cas - concernant la disparition de l'activiste politique Surya Prasad Sharma - a été décidé en 2008. Cependant, malgré les rencontres entre l'épouse de M. Sharma et des représentants du gouvernement et un suivi régulier par ses représentants légaux, aucune mesure n'a été prise pour enquêter sur ce qui lui est advenu, et seule une minime réparation, ce que le gouvernement appelle «mesures provisoires» a été fournie à Mme Sharma. En effet, rien n'a été fait pour appliquer la décision du Comité datant de plus de sept ans. Il y a aussi un certain nombre de cas de torture, où les victimes ont été libérées, mais elles auraient besoin d'indemnisations et d’aides à la réhabilitation en raison des effets que la torture a eu sur leur vie. Encore une fois, seul un minimum de "mesures provisoires" a été accordé, aucune enquête n'a été menée, aucune personne n'a été poursuivie, et la loi n'a pas encore été modifiée pour faire de la torture un crime.
JusticeInfo: Pensez-vous que cela reflète un manque de volonté politique ou les faiblesses du système judiciaire au Népal?
SF: Selon notre expérience, la non-application des décisions du Comité semble refléter à la fois un manque de volonté politique et des faiblesses dans la coordination entre les organismes responsables. Nous avons vu les victimes promener entre les différents départements, ne recevant jamais de réponses à leurs lettres, contraintes d'attendre des années, même pour ces très limitées « mesures provisoires ». Il arrive même qu’un organisme gouvernemental demande le remboursement de l'argent fourni en référé par un autre. Après tout, ils ont soumis leur cas devant le Comité afin d’obtenir que le Népal soit reconnu responsable des violations graves de leurs droits. Ces personnes doivent être traitées avec respect et considération par le gouvernement, dont la responsabilité est de répondre à chacune des recommandations du Comité. Les efforts des victimes pour obtenir justice sont particulièrement difficile car la quasi-totalité des auteurs présumés de ces crimes sont des acteurs étatiques. Nous espérons que notre campagne va conduire à une plus grande coordination et à une meilleure mobilisation au sein du gouvernement.
JusticeInfo: En quoi consiste votre campagne, et ce que vous espérez atteindre?
SF: La campagne commence cette semaine avec le lancement d'un site Web qui recueille en népalais et en anglais les histoires des personnes qui ont soumis leur cas au Comité des droits de l'homme, un résumé et des copies des décisions du Comité, l'état actualisé de chacun de ces cas. En plus de ces informations, le site fournit une plate-forme pour les victimes afin d'exprimer leurs propres points de vue sur leurs cas, au moyen d'interviews et de documents, qui seront régulièrement ajoutés au site. Il est à espérer que le site Web fournira une ressource utile pour les autres survivants, les journalistes, des responsables gouvernementaux et des membres de la société civile. Nous menons une campagne de promotion de ce projet sur les médias sociaux, et ferons un suivi avec des éléments dans les médias locaux tout au long de l'année. Nous espérons également tenir un certain nombre de forums avec les différentes parties prenantes de ce processus - les victimes, les fonctionnaires et leurs avocats – afin de mieux coordonner les réponses et mettre en œuvre de manière proactive les vues du Comité.