Les destructions de Tombouctou sont un crime de guerre, accuse la CPI

2 min 37Temps de lecture approximatif

La procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a accusé mardi un jihadiste malien présumé lié à Al-Qaïda de crimes de guerre pour avoir dirigé la destruction de mausolées protégés par l'Unesco à Tombouctou en 2012.

"Nous devons agir face à la destruction et la mutilation de notre héritage commun", a affirmé Fatou Bensouda, lors de l'ouverture de l'audience dite de confirmation des charges, qui sert à déterminer si les preuves du procureur sont suffisantes pour mener à un procès.

Le suspect, le Touareg Ahmad Al Faqi Al Mahdi, est le premier jihadiste écroué par la CPI. Selon l'accusation, il a été l'un des chefs d'Ansar Dine, un groupe islamiste malien radical associé à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

La défense, elle, assure que le suspect est un homme "intelligent et raisonnable, un intellectuel instruit soucieux du bien collectif". "Il ne s'agit pas d'attaquer des tombeaux mais de mettre en oeuvre des moyens qui visent à libérer les tombeaux d'éléments qui ont été construits sur ceux-ci", a assuré Jean-Louis Gilissen.

Son client est le premier suspect arrêté dans l'enquête de la Cour sur les violences de 2012-2013 au Mali et le premier poursuivi par la CPI pour destructions d'édifices religieux et monuments historiques.

Pour la procureure, les destructions ont constitué "une attaque contre une population entière et contre son identité culturelle".

M. Al Faqi Al Mahdi, environ 40 ans, s'est rendu responsable de crimes de guerre en ayant détruit neuf mausolées et une des plus importantes mosquées de la ville, Sidi Yahia, entre le 30 juin et le 10 juillet 2012, affirme l'accusation.

Fondée entre le XIe et le XIIe siècles par des tribus touareg et inscrite au patrimoine mondial de l'humanité, Tombouctou a été un grand centre intellectuel de l'islam et une ancienne cité marchande prospère des caravanes. La "cité des 333 saints" a connu son apogée au XVe siècle.

La destruction en 2012 de quatorze mausolées de saints musulmans par Ansar Dine au nom de la lutte contre "l'idolâtrie" avait provoqué l'indignation à travers le monde.

"La conscience collective de l'Humanité a été choquée par la destruction de ces sites", a affirmé le procureur, "un tel crime ne peut rester impuni".

- 'Prélude aux pires exactions' -

"C'est la première fois que mon bureau retient un tel chef d'accusation portant sur la destruction de biens et bâtiments religieux et culturels", a affirmé la procureure, invitant les juges à saisir cette chance de "lutter contre ce fléau qui est souvent le prélude aux pires exactions contre les populations".

"Des attaques contre le patrimoine culturel sont constantes. Malheureusement, il n'y a que trop d'exemples récents, comme dans les cités d'Alep et Palmyre, en Syrie", a-t-elle ajouté.

Habillé d'un long vêtement traditionnel blanc, le suspect, pour qui les procédures sont traduites en arabe, a écouté la procureure de manière attentive, levant parfois un sourcil face à ses déclarations.

Épaisse chevelure frisée, barbe, lunettes rectangulaires, M. Al Faqi Al Mahdi a affirmé "bien comprendre les charges".

Les juges ont désormais 60 jours, à compter de mercredi, pour décider si oui, ou non, le dossier du procureur est suffisamment solide pour ouvrir un procès.

La CPI avait ouvert en 2013 une enquête sur les exactions commises au Mali par les groupes jihadistes liés à Al-Qaïda. Ils avaient pris le contrôle du nord du Mali en mars-avril 2012, après la déroute de l'armée face à une rébellion à dominante touareg.

Ces jihadistes ont été en grande partie chassés après le lancement en janvier 2013 d'une intervention militaire internationale, à l'initiative de la France. Mais des zones entières du pays échappent encore au contrôle des forces maliennes et étrangères.

L'Unesco a depuis restauré les 14 mausolées détruits à Tombouctou, qui se trouve à 1.000 kilomètres au nord-est de la capitale Bamako.

Des ONG craignent toutefois que justice ne soit jamais rendue pour de nombreuses victimes des crimes commis en 2012 et 2013 au Mali et appellent la CPI à élargir les charges contre M. Al Faqi pour inclure des viols et mariages forcés.