Au Burundi, le mandat et la composition de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) faisaient déjà l'objet de critiques de la part de l'opposition et la société civile. En choisissant de lancer au début du mois de mars les travaux de cette Commission chargée de faire la lumière sur le passé, le gouvernement burundais se voit aujourd'hui accusé de vouloir tenter de détourner l'opinion d'une macabre actualité faite d'exécutions sommaires et extra-judiciaires, d'arrestations et détentions arbitraires massives et d'actes de torture perpétrés presque au quotidien depuis bientôt une année dans le pays.
Dans l'Accord de paix et réconciliation signé en 2000, les différentes parties burundaises avaient convenu de la nécessité de créer un double mécanisme, judiciaire et non-judiciaire, pour se pencher sur les conflits interethniques ayant marqué le pays depuis l'indépendance de la Belgique en 1962. Des débats et discussions ont ainsi eu lieu depuis 2000 sur le mandat, la composition et le fonctionnement de la Commission Vérité et Réconciliation et d'un éventuel Tribunal spécial dont l'idée a finalement été abandonnée.
Après des années d'atermoiements, la loi portant création, mandat, composition, organisation et fonctionnement de la CVR fut adoptée en avril 2014, donnant à l'institution un mandat couvrant la période de 1962 à 2008, date de signature du cessez-le-feu avec le dernier groupe rebelle.
Conformément à cette loi, les onze membres de la Commission furent désignés par l'Assemblée nationale le 03 décembre 2014, mais en l'absence de l'opposition qui avait boycotté la séance, en accusant le parti au pouvoir de mettre en place une nouvelle institution à sa dévotion.
« Nous n'avons pas pris part à ce vote afin de protester contre la mise en place d'une CVR qui est l'émanation de la volonté du seul parti CNDD-FDD au pouvoir », avait expliqué à l'AFP le député Charles Nditije, un des ténors de l'opposition au président Nkurunziza.
« Il faut normalement être deux pour une réconciliation », avait souligné le parlementaire, estimant par ailleurs que « la vérité et la réconciliation ne peuvent pas avoir lieu sans la justice », des griefs qui était également formulés par la société civile.
« Le parti CNDD-FDD au pouvoir a participé au conflit que nous avons connu. Il n'est pas normal qu'un parti qui a joué un rôle dans les conflits passés examine les questions liées à la réconciliation sans consulter les autres au Burundi », avait affirmé Pacifique Nininahazwe, défenseur des droits de l'homme. « La loi ne mentionne rien concernant la justice [ou] les sanctions à l'encontre de ceux qui ont commis de graves violations des droits de l'homme ; [et] le mécanisme d'enquêtes a été écarté », avait-t-il ajouté.
ASF regrette l'exclusion de la société civile
Dans une réaction après la prestation de serment des membres de la CVR, l'association Avocats sans Frontières (ASF) avait salué « une avancée importante » vers la justice transitionnelle au Burundi mais en reprenant à son compte certaines préoccupations de la société civile et de l'opposition burundaise. La loi « ne contient aucune référence à la mise sur pied d'une juridiction pénale chargée de juger celles et ceux à l'égard desquels les enquêtes auront permis d'établir des responsabilités dans les violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire commises au Burundi » alors qu' « un tel mécanisme était prévu dans les Accords d'Arusha, en parallèle de la mise sur pied d'une CVR », faisait remarquer ASF. « Certains ont vu dans cette absence de référence à une juridiction pénale une tendance visant à mettre en avant exclusivement le pardon en reléguant au second plan l'établissement des responsabilités », rappelait Avocats sans Frontières, suggérant à la CVR « d'être particulièrement attentive à cette question ». L'organisation d'avocats « notait déjà avec satisfaction l'accent mis dans le Règlement d'ordre intérieur (de la CVR) sur le plein respect de la volonté des victimes d'accorder (ou non) le pardon » et le fait que « la CVR établira des recommandations quant au sort à réserver aux présumés auteurs et à ceux qui auront bénéficié du pardon ». Enfin, ASF regrettait « que la composition de la CVR n'ait inclus aucun représentant de la société civile, contrairement aux vues majoritairement exprimées par la population lors des consultations nationales en 2009 ».
Détourner l'attention de l'opinion
Aujourd'hui, après le lancement des travaux de la CVR, la société civile burundaise dénonce toujours une sorte de coquille vide. « On a vu que la société civile a été ignorée tandis qu'on a préféré des religieux qui vont fonctionner selon une loi qui vise plutôt le pardon au lieu de la justice et la lutte contre l'impunité des crimes punis dans le passé », attaque ainsi Vital Nshimirimana, président du Forum pour le renforcement de la société civile au Burundi (FORSC). A la tête de la Commission, se trouvent l’évêque catholique Jean-Louis Nahimana (président) et l’archevêque anglican Bernard Ntahoturi (vice-président).
S'exprimant sur RFI, Nshimirimana fait par ailleurs remarquer que « parmi les onze commissaires, au moins trois – qui ont participé à des gouvernements – sont accusés de différents crimes ».
S'agissant du moment choisi pour lancer les travaux de la Commission, Vital Nshimirimana affirme qu'il s'agit que d'une manœuvre du régime pour tenter de détourner l'attention de l'opinion internationale au moment où les Burundais sont tués au quotidien à Bujumbura et en province, depuis la décision de Pierre Nkurunziza de briguer le troisième mandat controversé qu'il a obtenu en juillet dernier.
Des accusations balayées du revers de la main par le CNDD-FDD dans un communiqué mettant dans le même panier pêle-mêle ces cibles de prédilection : les auteurs de la tentative de coup d'Etat de mai 2015, l'homme politique belge Louis Michel et son pays. « La CVR gêne les putschistes ainsi que leurs acolytes nationaux et leurs soutiens étrangers qui se sont illustrés dans l'histoire malheureuse qui a endeuillé ce pays », écrit dans ce brûlot daté du 10 mars, le président du parti au pouvoir et de l'Assemblée nationale burundaise, Pascal Nyabyenda.