Les négociations sur l'avenir politique de la Syrie ont commencé à entrer dans le vif du sujet jeudi à Genève, l'ONU et l'opposition ayant abordé "en profondeur" le sujet de la transition, dans un contexte rendu plus difficile par la proclamation d'une région fédérale kurde dans le nord de ce pays.
Sur un ton inhabituellement positif, l'émissaire de l'ONU Staffan de Mistura s'est félicité de discussions "intensives" avec l'opposition regroupée au sein du Haut Comité des négociations (HCN), qu'il recevait pour la deuxième fois depuis le début des pourparlers indirects avec le régime de Damas et l'opposition.
"Nous avons eu des discussions très substantielles sur la transition politique", a déclaré M. de Mistura, qui s'est dit "impressionné par la préparation" de l'opposition.
"J'espère que j'obtiendrai la même clarté de la part du gouvernement", a ajouté le diplomate italo-suédois, qui doit rencontrer vendredi matin la délégation de Damas pour la troisième fois depuis le début de la semaine.
Une représentante du HCN, Bassma Kodmani, a indiqué pour sa part que l'opposition avait remis à l'émissaire de l'ONU un "mémo détaillé" sur le futur organe de transition. "Nous voulons aller vite", a-t-elle dit.
La feuille de route internationale prévoit la constitution d'un organe de transition dans six mois, la rédaction d'une nouvelle Constitution et des élections législatives et présidentielle dans 18 mois.
Mais les interprétations sur cet organe de transition (gouvernement d'union élargi selon Damas, autorité ayant les pleins pouvoirs et excluant le président Bachar al-Assad selon l'opposition) constituent l'un des principaux points de blocage.
Les pourparlers indirects entre régime et opposition, menés sous l'égide de l'ONU, doivent être centrés sur les modalités de la transition politique en Syrie, afin de sortir d'un conflit qui a fait plus de 270.000 morts en cinq ans et fait des millions de réfugiés, provoquant une crise migratoire sans précédent en Europe.
Le conflit syrien a également offert un terreau incomparable aux jihadistes du groupe Etat islamique, dont les atrocités commises en Irak et en Syrie contre les minorités chrétienne, yazidi et chiite ont été qualifiées jeudi de "génocides" par Washington.
- Fédéralisme kurde -
Tandis que se poursuit le périlleux exercice diplomatique à Genève, les Kurdes syriens, tenus à l'écart du processus, ont proclamé de leur côté une région fédérale dans le nord de la Syrie, une mesure interprétée comme un pas de plus vers l'autonomie.
L'opposition et le régime de Damas, qu'un fossé abyssal sépare toujours après cinq ans de guerre, se sont d'ailleurs retrouvés pour unanimement rejeter la proclamation des Kurdes syriens : Damas a mis en garde contre "toute atteinte à l'unité du territoire et du peuple syriens", tandis que l'opposition mettait en garde contre "une aventure sans fondement légal".
Acteurs incontournables de la tentaculaire crise syrienne, les Kurdes, qui contrôlent désormais 14% de la Syrie et les trois-quarts de la frontière syro-turque, ne sont pas associés aux pourparlers de Genève, en raison de l'opposition farouche de la Turquie, qui considère leur parti, le PYD, comme "terroriste" et craint les répercussions au niveau de sa propre communauté kurde.
Les Etats-Unis, qui ont prévenu qu'ils ne reconnaîtraient pas la création de la région autonome et unifiée kurde, ont cependant souligné que les Kurdes syriens restaient d'"excellents partenaires" dans la lutte contre le groupe Etat islamique.
En annonçant un système fédéral et l'union de trois "cantons" kurdes (Afrine, Kobané et Jaziré) et des régions récemment conquises dans le nord du territoire syrien, les Kurdes adressent un "message politique" aux négociateurs de Genève, selon Mutlu Civiroglu, un expert basé à Washington interrogé par l'AFP.
Autre message, celui émis de Moscou par Vladimir Poutine. Le président russe a prévenu qu'il pouvait redéployer ses avions "en quelques heures" dans le ciel syrien en cas de violation de la trêve. "Ce n'est pas ce que nous voulons, une escalade militaire n'est pas dans notre intérêt", a toutefois ajouté M. Poutine, qui avait créé la surprise lundi en annonçant le retrait du gros des forces russes de la Syrie.
Sur le terrain, la trêve imposée le 27 février par Moscou et Washington tient peu ou prou, malgré des violations sporadiques. Ces trois derniers jours ont été "étonnamment calmes", a d'ailleurs relevé Staffan de Mistura. Il a cependant déploré des progrès trop "lents" sur le volet humanitaire, estimant qu'il n'y avait "pas d'excuses" à la non-distribution de l'aide, et affirmé que la question des détenus et des personnes kidnappées - qui se comptent en dizaines de milliers - était une priorité.
Un groupe de travail sous l'égide de l'ONU a soumis jeudi une proposition à la Syrie pour l'acheminement d'ici à la fin avril d'une aide humanitaire à plus d'un million de Syriens assiégés.