L'ancien chef politique des Serbes de Bosnie Radovan Karadzic a été condamné jeudi par un tribunal international à 40 ans de détention pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis pendant la guerre de Bosnie, un verdict historique rendu plus de 20 ans après les faits.
Radovan Karadzic a été reconnu coupable de génocide pour le massacre de près de 8.000 hommes et garçons musulmans à Srebrenica en juillet 1995, le pire massacre à avoir été commis en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.
"Radovan Karadzic, la cour vous condamne à 40 années de détention", a affirmé le juge du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), O-Gon Kwon, affirmant que l'accusé était le "fer de lance des structures militaires, politiques et gouvernementales" des Serbes de Bosnie.
Radovan Karadzic, âgé de 70 ans, est le plus haut responsable à être jugé par le tribunal pour des crimes commis pendant cette guerre, après la mort en 2006 de l'ancien président serbe Slobodan Milosevic au cours de son procès.
Les juges ont néanmoins décidé qu'ils n'avaient "pas de preuves suffisantes" pour affirmer, hors de tout doute raisonnable, qu'un génocide avait été commis dans sept autres municipalités de Bosnie. M. Karadzic a donc été acquitté du premier des deux chefs d'accusation pour génocide.
Reconnaissable à sa mèche indomptable, Radovan Karadzic était le président de l'entité des Serbes de Bosnie, la Republika Srpska.
Il voulait, selon les juges, diviser la Bosnie. En se saisissant de plusieurs municipalités, ses troupes avaient "sélectionné leurs victimes sur la base de leurs identités de Musulmans ou de Croates", ont-ils affirmé.
Radovan Karadzic est "déçu et étonné", a affirmé Peter Robinson, son conseiller juridique, à des journalistes réunis devant le bâtiment du TPIY : "il pense qu'il a été condamné sur la base de déductions et va interjeter appel du jugement".
Le procureur estime, lui, que "la justice a été rendue". "Des milliers de personnes sont venues ici raconter leurs expériences et courageusement confronter leurs persécuteurs", a affirmé Serge Brammertz dans un communiqué : "avec cette condamnation, cette vérité a été respectée".
- 'Nettoyage ethnique' -
Ancien psychiatre, Radovan Karadzic était "en première ligne pour développer et mettre en place l'idéologie" des Serbes de Bosnie, pendant une guerre qui a fait plus de 100.000 morts et 2,2 millions de déplacés entre 1992 et 1995.
M. Karadzic, habillé jeudi d'un costume foncé et d'une cravate rayée bleu clair, a écouté la lecture du jugement de manière attentive, restant impassible au moment du prononcé de la condamnation à 40 années de détention.
Selon les juges, le massacre de Srebrenica s'inscrivait dans le cadre du "nettoyage ethnique" planifié par Radovan Karadzic avec le général Ratko Mladic et Slobodan Milosevic à l'issue du démantèlement de la Yougoslavie.
M. Karadzic a par ailleurs été reconnu coupable de persécutions, meurtres, viols, traitements inhumains ou transferts forcés, notamment pour le siège de Sarajevo, qui dura 44 mois et tua 10.000 personnes, et pour des camps de détention aux "conditions de vie inhumaines".
- 'Nul n'est au dessus de la loi'-
Autrefois fugitif le plus recherché du continent, Radovan Karadzic avait échappé à la justice internationale pendant près de 13 ans, se cachant sous l'identité d'un spécialiste de médecine alternative, arborant une barbe blanche nourrie.
Arrêté en 2008, son procès s'ouvre en 2009 et se termine en 2014, après 497 jours d'audiences et 586 témoins.
L'accusation avait requis la prison à vie à l'encontre de M. Karadzic, qui reste pour beaucoup de Serbes un "héros" de la guerre en Bosnie.
Cette condamnation marque "un jour historique pour les peuples de la région et au-delà, ainsi que pour la justice internationale", a estimé le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon.
Beaucoup de victimes présentes étaient déçues de l'acquittement pour un chef de génocide mais espèrent "que cette condamnation pourra aider chacun à panser ses blessures", a affirmé à l'AFP Adil Draganovic, ancien détenu d'un camp serbe.
A Srebrenica, Bida Smajlovic, 63 ans, mère d'une victime, s'est déclarée "très mécontente", parce "qu'ils ont ont tué tellement d'enfants, et lui (Karadzic) vivra peut-être suffisamment longtemps pour retrouver la liberté".
Si ce verdict envoie un "message fort aux responsables d'atrocités qu'ils auraient tort de simplement compter sur le temps qui s'écoule pour échapper à la justice", les procès au niveau national doivent continuer, assure Param-Preet Singh, de l'ONG Human Rights Watch.
En Bosnie, les autorités "doivent cesser de prononcer des discours incendiaires visant à minimiser l'obligation de rendre des comptes", a-t-elle ajouté.
Cette condamnation est "le plus important verdict depuis Nuremberg", le grand procès des dirigeants nazis après la seconde guerre mondiale, a réagi Bakir Izetbegovic, le membre musulman de la président collégiale bosnienne.