Avec un premier procès attendu mardi, la justice allemande s'attaque aux crimes de guerre commis en Syrie et en Irak, stimulée par l'arrivée de témoins, victimes et suspects parmi les réfugiés.
Jugé à Francfort (ouest), Aria L., un Allemand de 21 ans, répondra jusqu'au 14 juin de "perpétration d'un crime de guerre", pour avoir posé auprès de deux têtes plantées sur des piques en Syrie et avoir posté les clichés sur Facebook.
"Dix enquêtes liées à la Syrie ou l'Irak" sont actuellement instruites au parquet fédéral, en plus de la trentaine de procédures contre d'ex-jihadistes pour "appartenance à un groupe terroriste", selon une porte-parole.
Parmi les principaux suspects de "crimes de guerre" figurent Ibrahim Al F., Syrien de 41 ans et chef supposé d'une milice qui enlevait et torturait des civils à Alep, et Suliman A.S., Syrien de 24 ans soupçonné de l'enlèvement d'un soldat de l'ONU en 2013.
Signe de l'importance croissante de ces dossiers, 25 à 30 renseignements parviennent chaque jour aux enquêteurs par le biais des procédures d'asile, qui intègrent depuis fin 2013 un questionnaire systématique sur les crimes de guerre réservée aux ressortissants syriens.
"L'afflux de réfugiés crée de nouvelles opportunités pour collecter des informations précises", explique à l'AFP Géraldine Mattioli, chargée de la justice internationale au sein de l'organisation Human Rights Watch (HRW).
- Tâche colossale -
Or l'Allemagne, qui a accueilli en 2015 1,1 million de demandeurs d'asile, dont la moitié venus de Syrie et d'Irak, mesure depuis une vingtaine d'années la difficulté de juger les crimes commis à l'étranger.
En 1993, poussé par une vague de réfugiés des Balkans, le pays s'est doté d'une unité de police spécialisée, d'abord dédiée aux crimes commis en ex-Yougoslavie. Il en existe de similaires dans plusieurs pays européens, l'une des plus actives étant aux Pays-Bas.
Considérable, avec 127 procédures et 4.500 témoins entendus, cet effort initial n'a abouti qu'à quatre procès, dont la première condamnation pour "génocide" prononcée en Allemagne, poussant la justice à affiner ses pratiques.
En s'attaquant ensuite aux massacres commis dans l'Afrique des Grands Lacs, elle a dépêché ses enquêteurs sur place - une évolution décisive pour collecter des preuves - tout en s'efforçant de mieux protéger les témoins.
Un procès résume cette tâche colossale: celui des deux chefs de la rébellion hutue rwandaise (FDLR), condamnés à l'automne dernier après quatre ans et demi d'une audience coûteuse, épique et marquée par l'abandon d'une partie des charges.
"Les crimes de masse impliquent, typiquement, un grand nombre de suspects, des victimes traumatisées et souvent marginalisées et des témoins dotés d'une culture et d'une langue étrangères", résume le juriste Jürgen Schurr dans un rapport de l'association Redress.
- Et les crimes d'Assad ? -
Pour la Syrie, les enquêteurs ne peuvent travailler sur les lieux mais ils disposent d'images de propagande postées sur les réseaux sociaux - un matériau en plein essor, qui pose toutefois des difficultés d'authentification.
L'Allemagne conduit par ailleurs des "enquêtes structurelles", spécificité largement donnée en exemple: sans attendre des faits précis, ce travail vise à accumuler une documentation minutieuse, pays par pays.
La traque judiciaire, si zélée soit-elle, risque cependant de privilégier "des personnes pas forcément de très haut rang, et plutôt dans l'opposition", sans refléter "la gravité des crimes commis par le régime", relève Géraldine Mattioli.
Même si un ancien soldat d'Assad a été arrêté fin février en Suède, les militaires syriens restent en effet rares parmi les réfugiés: la vague de désertions de 2012-2013, principalement vers la Turquie, s'est tarie avec l'appui des Russes au régime.
"Ce déséquilibre est problématique mais il faut bien commencer quelque part", estime Mme Mattioli, rappelant que les poursuites menées par les pays dotés d'une "compétence universelle", dont l'Allemagne, les Pays-Bas, la France, la Suède et la Finlande, sont "le seul moyen" de pallier l'impunité en Syrie.