Arusha, 21 mai 2015 (FH) – Tortures, étouffement des cris de douleur des suppliciés, corps de victimes évacués de nuit : à en croire une alerte signée par plusieurs grands noms de la scène politique et de la société civile burundaises parmi lesquels deux anciens présidents de la République, les jeunes du parti au pouvoir à Bujumbura se trouvent au centre d’une puissante machine de répression sanglante.
Dans cette lettre datant du lundi 18 mai et reçue jeudi à JusticeInfo.Net, Sylvestre Ntibantunganya et Domitien Ndayizeye ne mâchent pas leurs mots. Ces deux anciens chefs d’Etat hutus, aujourd’hui sénateurs, accusent les Imbonerakure, les jeunes du CNDD-FDD, le parti du président Pierre Nkurunziza, de semer aujourd’hui la terreur dans la capitale Bujumbura, sur les routes à travers le pays et aux frontières.
Le régime de Nkurunziza est confronté depuis la fin du mois dernier à un spectaculaire mouvement de contestation de l’opposition et de la société civile qui exigent le retrait de sa candidature à la présidentielle du 26 juin prochain. Opposants et activistes des droits de l’Homme l’accusent de violer la Constitution du Burundi de 2005 et les accords de paix d’Arusha (Tanzanie) de 2000 qui limitent à deux le nombre de mandats présidentiels par individu. Mais le camp de Nkurunziza, qui dirige son petit pays pauvre depuis 10 ans, soutient que le premier mandat ne compte pas puisqu’il avait alors été élu par le Parlement et non directement par les Burundais.
En s’appuyant notamment sur la police qui n’hésite pas souvent à tirer à balles réelles pour disperser des manifestants, l’ancien rebelle s’efforce de reprendre la situation en main après la tentative de coup d’Etat de la semaine dernière.
« Sous prétexte de faire échec au putsch, les forces loyalistes, appuyées par la milice Imbonerakure, ont incendié les radios privées qui avaient été plusieurs semaines avant dans le collimateur du pouvoir », accusent les signataires de cet appel adressé aux chefs d’Etat de la sous-région, à l’Union africaine, à l’Union européenne et aux Etats-Unis d’Amérique.
Alors que le gouvernement avait, dans un premier temps, condamné les attaques contre ces radios privées, le président Nkurunziza a « mis en garde » mercredi les médias nationaux et internationaux « qui tenteraient de diffuser des informations de nature à semer la haine et la division entre Burundais et à jeter le discrédit sur le Burundi ou encourager des mouvements d'insurrection surtout pendant cette période électorale ».
Selon l’alerte, les Imbonerakure participent aujourd’hui au contrôle des postes de frontière et des principaux axes routiers où sont arrêtées, sur la base de listes établies, des personnes soupçonnées d’être opposées à la nouvelle candidature du président Nkurunziza.
« Cette milice est organisée et fonctionne sous le commandement de l’ancien administrateur du Service national de renseignements (SNR), le lieutenant-général Adolphe Nshimirimana », impliqué, selon les auteurs, « dans plusieurs dossiers de violation des droits de l’Homme. « En complicité avec les éléments du SNR, cette milice procède abusivement à des interrogatoires et des arrestations arbitraires », affirment les signataires, parmi lesquels, figurent également les anciens présidents de l’Assemblée nationale, Jean Minani et Léonce Ngendakumana.
Selon cet « appel urgent », l’Etat-major de cette milice siège au bar-restaurant du lieutenant-colonel Adolphe Nshimirimana, situé sur la route nationale numéro un, en commune Rumonge, à la sortie de la capitale, Bujumbura. Les Imbonerakure y « sont encadrés par certains hauts gradés de la police et de l’armée », selon les auteurs qui soulignent que ce bar-restaurant est devenu « le lieu de torture et de traitement cruel, inhumain et dégradant à l’endroit des personnes enlevées des quartiers et d’autres descendues des véhicules de transport en commun ou de particuliers ».
Selon la lettre, ces tortionnaires font tout pour cacher leurs actes. « Pendant les séances de supplice, les auteurs de ces traitements atroces prennent le soin d’étouffer les cris de douleur des victimes jusqu’à leur dernier soupir, par un volume élevé d’une musique provenant de puissants hauts parleurs. Les dépouilles mortelles sont évacuées pendant la nuit par des véhicules vers une destination inconnue, selon des sources concordantes ».
Accusant le régime en place d’armer et entretenir « délibérément la milice » Imbonerakure, les auteurs demandent, entre autres, à la communauté internationale de « déployer d’urgence au Burundi une force d’interposition en vue d’assurer dans l’immédiat la sécurité des personnes et des biens ».
Certains observateurs ayant lu la lettre font néanmoins remarquer qu’aucun des deux anciens présidents tutsis du Burundi, Jean-Baptiste Bagaza et Pierre Buyoya, n’est signataire de l’alerte.
Ce n’est cependant pas la première fois la première fois que les jeunes du CND-FDD sont accusés de terroriser les opposants. Interpellés notamment par les Nations unies, le gouvernement a toujours répondu qu’il s’agissait d’accusations sans fondement.