Les Pays-Bas, la Belgique, l’Argentine et la Slovénie plaident pour un traité d’extradition des auteurs présumés de crimes de guerre. Alors que de plus en plus d’Etats, notamment européens, ont adapté leurs lois internes et conduisent sur leur sol les procès d’auteurs de crimes de masse, beaucoup réclament de nouveaux instruments internationaux de coopération.
Le ministre de la Justice néerlandais, Ard van der Steur, a plaidé, lundi 23 mai, en faveur d’un traité d’extradition des criminels de guerre. « Il est principalement de la responsabilité des Etats d’enquêter et de poursuivre les auteurs présumés de crimes internationaux » a-t-il rappelé lors d’une réunion à la Haye du « réseau génocide » , rassemblant les cellules crimes de guerre européennes et établi sous l’autorité d’Eurojust. « Les cours et tribunaux internationaux sont souvent mis en place en tant que tribunaux de dernier recours, et ne peuvent pas poursuivre tous les auteurs » de tels crimes. Or les Etats ont besoin d’instruments efficaces et ce traité vise à « rendre plus facile l’extradition et faciliter l’assistance judiciaire », précise le ministre. Depuis les années 1990, de nombreux Etats se sont dotées de cellules spéciales pour poursuivre les auteurs de crimes internationaux, quels que soit leur nationalité ou le lieu de leurs crimes, comme l’imposent les conventions de Genève et celle sur le génocide. A ce jour, 1607 affaires ont été jugées devant les tribunaux de pays européens, et 1339 sont en cours. Mais les procureurs manquent souvent de moyens, et particulièrement d’instruments juridiques.
Pas d’instruments contre les acteurs d’un génocide
« Il n’y a pas de convention d’extradition pour les criminels de guerre, il n’y a pas d’outils juridiques, explique Gérard Dive. Si vous êtes complice d’un petit trafic d’argent, tous les instruments modernes sont en place, mais si vous êtes l’acteur clé d’un génocide, il n’y a rien. » Le chef de la Task Force belge sur la justice internationale propose de tenir des négociations sur un traité d’extradition en marge de l’Assemblée des Etats parties à la Cour pénale internationale. Elles pourraient aussi se tenir sous l’égide des Nations unies. Mais avant d’en définir le cadre, les initiateurs du projet tentent d’abord de recueillir le soutien le plus large possible. Outre les Pays-Bas, l’initiative a été lancée par la Belgique, l’Argentine et la Slovénie et est soutenue par 49 pays, parmi lesquels on ne compte, pour l’heure, ni la France, ni le Royaume uni, ni les Etats-Unis.
« En raison de la nature même des crimes, suspects et témoins, preuves et biens ne se trouvent pas sur le territoire d’un seul Etat », explique Michèle Coninxs, la présidente d’Eurojust. Les poursuites nécessitent donc une coopération étroite, la raison d’être du Réseau génocide, établi par l’Europe en 2004, et qui réunit tous les six mois les procureurs européens. L’idée est d’empêcher l’Europe d’être « un havre de paix pour les criminels de guerre », explique Michèle Coninxs. Les conventions de Genève interdisent d’accorder le statut de réfugié aux suspects, qui sont souvent repérés sur le territoire européen par les services d’immigration, parfois assistés des victimes.
Le Réseau génocide s’empare des crimes commis en Syrie
« Aujourd’hui, nous sommes plus efficaces que nous ne l’étions il y a 20 ou 30 ans, quand il y avait les guerres du Rwanda et de la Yougoslavie et à l’époque, il y avait aussi un important flux d’immigrants, constate néanmoins Matevz Pezdric, responsable du Réseau génocide. Nous sommes mieux équipés, et nous commençons à voir des affaires sur la Syrie, alors qu’un conflit est en cours, et il existe déjà une coopération entre les autorités nationales ». L’arrivée massive de réfugiés venus de Syrie mobilise les Etats européens qui craignent que les auteurs de crimes de guerre y trouvent refuge.
En 2013, le Réseau génocide avait planché sur les poursuites pour les crimes commis sur le territoire syrien et plusieurs affaires sont en cours. Un ancien combattant présumé de Daech est jugé pour crimes de guerre depuis le 3 mai par la justice allemande. En Suède, Mohannad Droubi, un ancien de l’Armée syrienne libre, l’opposition à Bachar al-Assad, a été condamné à une peine de 7 ans de prison et 2000 euros de réparations pour la victime . « Nous n’avions pas d’accès à la scène de crime », raconte Henrik Attorps, un procureur suédois. Mais si l’auteur est désormais sous les verrous pour longtemps, la victime, qui se trouve à l’étranger, « n’aura jamais l’argent et la Suède ne peut pas utiliser le fonds dédié aux victimes » regrette-t-il. Les procureurs sont aussi confrontés aux problèmes de protection. Les familles des témoins « sont souvent restées dans le pays, c’est donc difficile de les protéger. Et promettre leur relocalisation, cela peut encourager certains à raconter une histoire qui pourrait ne pas être vraie », explique la procureure néerlandaise Nicole Vogelenzang (might encourage people to tell a story that might not be true). D’autant que la Cour pénale internationale est pour l’instant hors-jeu. Damas n’a pas ratifié le traité de la Cour et Russes et Chinois se sont opposés à sa saisine par le Conseil de sécurité. Un temps envisagé, la possibilité de mettre sur pied un tribunal ad hoc est pour l’instant écartée.