"Le Fils de Saul" du Hongrois Laszlo Nemes, en salles mercredi, est un film sur la Shoah, qui suit au plus près le quotidien d'un membre des Sonderkommandos, ces Juifs forcés à collaborer à la Solution finale.
L'action simple et poignante de ce premier long métrage, récompensé par le Grand prix du Festival de Cannes, se déroule sur deux journées dans un camp d'extermination allemand en 1944.
Saül Ausländer, incarné par le New-Yorkais d'origine hongroise Géza Röhrig, est un déporté juif hongrois forcé de travailler dans les chambres à gaz et de brûler les cadavres dans les crématoriums.
Un jour, au coeur de l'enfer, Saul découvre un jeune garçon qui survit mais seulement brièvement au gaz, et dans lequel il croit reconnaître son fils. Bouleversé, il va alors tout faire pour essayer de lui offrir une sépulture digne.
Laszlo Nemes, 38 ans, dont une partie de la famille - des Juifs venus d'Ukraine - a été assassinée à Auschwitz, a décidé de traiter ce sujet rattaché à son histoire personnelle, après avoir trouvé un recueil de textes écrits par des membres des Sonderkommandos.
"Je me suis demandé quelle était l'impression que les juifs avaient quand ils arrivaient à Birkenau sur la rampe. Qu'est-ce que l'on voyait? Quelles étaient les dernières heures? Me projeter a été une force qui m'a poussé à faire le film", a-t-il expliqué, ému, à l'AFP à Cannes.
Filmant son héros en plan serré dans son quotidien insoutenable, le réalisateur choisit un parti pris radical: tout montrer du point de vue de Saul, et de ne donner à voir que ce qu'il voit, laissant presque toujours l'horreur floue à l'arrière-plan ou hors champ.
"Il est au milieu de l'usine de mort, il ne regarde plus cette usine, il ne regarde plus les déportés, il ne regarde plus les cadavres. Ce qu'il regarde, c'est tout ce qui est lié à sa quête, essayer d'enterrer ce garçon qu'il pense être son fils", a indiqué Laszlo Nemes.
- 'Survie intérieure' -
Le réalisateur dit "avoir tenu à trouver une voie différente pour représenter l'enfer des camps d'extermination", car à ses yeux, "le sujet a été en général traité d'une manière insatisfaisante".
"Les films avaient souvent cette tendance à vouloir trop montrer", ajoute-t-il.
Il pointe un paradoxe des films sur la Shoah: celle-ci, selon lui, "a été beaucoup traitée au cinéma, souvent avec des stéréotypes, et en y mettant le plus possible d'émotion et de drame. Mais d'une certaine manière, les massacres y avaient lieu en silence. Leur dureté était étouffée".
Oppressant, rythmé visuellement par les déplacements et les gestes de Saul, le film l'est aussi par les sons glaçants du four crématoire: claquements métalliques, bruit de pas et de mains qui tambourinent sur la porte de la chambre à gaz, bruissement des corps que l'on tire, grincement des chariots que l'on pousse, ordres criés en allemand, bribes de conversations en diverses langues...
"Nous sommes plongés au milieu de cette usine horrible, c'est une usine qui produit des cadavres", souligne le cinéaste né en Hongrie mais qui a vécu à Paris entre 12 et 26 ans, et a travaillé pendant deux ans comme second assistant du cinéaste hongrois Béla Tarr.
Le film a été tourné sur une pellicule 35 mm pour offrir au spectateur "une expérience plus +en immersion+ et émotionnelle".
Pour Laszlo Nemes, "Le Fils de Saul" raconte "une histoire de survie intérieure". "Au milieu de l'enfer des enfers, qu'est-ce qui peut rester comme voie intérieure? C'est la question qui est posée par le film."