Nous publions ce témoignage d’une étudiante en art, Chaya Hazan, sur sa rencontre à Ramallah avec un artiste palestinien Khaled Jarrar. Jarrar a récemment accompagné dans son périple en Europe, une Palestinienne syrienne contrainte une nouvelle fois à l’exil. Il en a fait un film « destination Berlin » qu’il est en train d’achever. Témoignage.
J’ai rencontré Khaled Jarrar à Ramallah, dans un quartier à la fois chic et branché qui ne semble pas vraiment ressembler au reste de la ville. Il nous attendait devant son ordi, il était en train de préparer une présentation Powerpoint de son travail pour une conférence prochaine. La première diapo Powerpoint qu’il nous montre est une photo de lui, l’air sombre et mystérieux, avec en texte gras centré vers son visage « Khaled Jarrar, from Arafat’s bodyguard to Contemporary Artist », plutôt sexy comme accroche. C’était en fait, une manière très fine et ironique de répondre à notre question, avec laquelle nous avions commencé notre entretien : « So, you were a bodyguard of Yasser Arafat and now, you are an artist ? »
Avec cette réponse, Khaled Jarrar posait les bases de notre rencontre et peut-être nous incitait subtilement à choisir un autre titre pour cet article. Khaled Jarrar nous montre un preview de sa dernière pièce : « Destination Berlin », une vidéo caméra à l’épaule qui, à première vue pourrait ressembler à un reportage journalistique mais qui, de par son rythme et ses cadrages, s’inscrit très clairement dans le film contemporain. Il nous explique qu’il y a un an il est tombé sur une annonce de journal, un appel au secours de Nadra, une palestinienne originaire de Nazareth, qui avait fui Israël en 1948 pour la Syrie et qui aujourd’hui, tente de fuir cette dernière pour rallier l’Europe et qui est coincée en Turquie sans argent. Cette histoire le touche et le ramène à l’exil de sa propre grand-mère qui avait fui Haïfa. Il decide d’aller la retrouver une fois qu’elle sera passée en Grèce (il ne peut la retrouver avant parce qu’en tant que palestinien il ne peut embarquer sur le bateau pour le Pirée). Une fois avec elle, il passera un mois entre la marche et les camps de réfugiés.Il nous explique comment, très vite, il a compris que pour ce travail et ce voyage il n’aura d’autres choix que d’épouser une identité de réfugié et donc, de cacher son visa. Heureusement, nous dit-il avec un sourire en coin, à l’aide de ses compétences de camouflage acquises dans son passé de militaire, il n’aura aucun mal à dissimuler sa véritable identité. Il est du reste l’auteur du documentaire Infiltrators, où il suit les trajets quotidiens de Palestiniens qui, en toute illégalité, parviennent à passer en Israël pour travailler et gagner un peu d’argent.
Mais on comprend que le camouflage va au-delà d’une nécessité du projet. Il est son mode de fonctionnement, son processus artistique. C’est ainsi qu’il aborde et rencontre les gens, qui sont le centre de sa pratique. Il préfère à la place de l’artiste, celle de l’humain et choisit, plutôt que de « couvrir » un sujet, de le vivre. C’est ainsi qu’il récupère des morceaux du mur de séparation construit par Israël pour en faire des ballons de football et des chaussures de sport en ciment, récupérant l’objet originel pour le détourner de sa signification. On le voit encore dans son travail « A Hole in a Wall » découper un mur selon le tracé des frontières de la Palestine de 1948.
Cela me fait penser à sa première réponse, je comprends qu’il n’est pas un ancien garde du corps devenu artiste. Il est garde du corps, artiste, militant, militaire. Il n’y a pas de division entre ses différentes « pratiques ». Et c’est ce qui fait le caractère si unique du travail de Khaled Jarrar. Il y a beaucoup d’autres artistes qui sont engagés, il y a beaucoup d’artistes qui travaillent sur des sujets politiques. Mais je ne connais que peu d’artistes qui, avec leur art, réussissent à impacter la réalité comme il fait. En 2010, il crée des timbres postes « Etat de Palestine » reconnue aujourd’hui par plusieurs pays dont l’Allemagne et la Hollande. En 2011, il crée un tampon « State of Palestine » qu’il tamponnera sur les passeports de touristes arrivés en Palestine et ayant passé les check-points. Avec ses travaux, Jarrar explose toutes frontières entre art et politique. Il est producteur de réalité : il fait reconnaître la Palestine comme pays par le biais de ses oeuvres et ses oeuvres deviennent des réalités politiques. Il fait partie de cette forme d’art si nécessaire, celle qui véritablement ne parle pas de quelque chose mais qui agis à la fois émotionnellement et politiquement.