Hélène Calame, chargée de mission de l’IHEJ, de retour de Côte d’Ivoire et Joël Hubrecht, responsable du programme justice internationale et transitionnelle, décryptent les raisons pour lesquelles la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation ivoirienne mise en place entre 2011 et 2014, n’a pas atteint les résultats espérés. Un échec dont il est important de tirer les leçons avant la fin du premier mandat présidentiel de A. Ouattara et à un moment où, fort de son développement fulgurant, la justice transitionnelle risque de se formater et de produire des commissions « belles » sur le papier mais vides et décevantes dans ses réalisations concrètes.
L’élection présidentielle ivoirienne dont le premier tour est prévue le 25 octobre 2015, verra concourir le président sortant Allassane Ouattara avec, notamment, M. Koulibaly, du Lider, et Pascal Affi N’Guessan du Front populaire ivoirien (le parti créé par Laurent Gbagbo). Les pro-Gbagbo les plus radicaux, exclus du FPI, menés par Aboudramane Sangaré et soutenus par Simone et Michel Gbagbo, appellent au boycott des élections mais, même s’ils œuvrent au sein d’une « Coalition nationale pour le changement » qui regroupent plusieurs dissidents en rupture avec Ouattara, dont Charles Konan Banny, ils apparaissent trop marginalisés pour pouvoir empêcher la tenue du scrutin. Ouattara y fait figure de favori et bénéficiera du morcellement de l’opposition. D’aucun prédise même une victoire dès le premier tour.
Bien qu’on puisse s’attendre à des tentatives de provocations, la situation apparaît actuellement bien plus stable qu’elle ne l’était en 2010/2011. A cette époque, une violente crise post-électorale opposa le camp du président sortant Laurent Gbagbo à celui du nouvellement élu Alassane Ouattara, tous deux se proclamant victorieux à l’issue du second tour. Un affrontement sanglant sur le terrain opposa les supporters des deux rivaux faisant 3000 morts en 6 mois. Plus de 150 femmes auraient été violées. On compte d’innombrables disparus. Le rapport de la commission d’enquête de l’ONU, rendu public en juin 2011, recense les atrocités commises : enlèvements, exécutions sommaires, tortures, humiliations, viols collectifs, immolations. Ces exactions ont été le fait des milices fidèles à Gbagbo mais également des Forces républicaines ivoiriennes pro-Ouattara. Elles ont créé une déchirure sociale et psychologique encore prégnante dans le pays. Une déchirure que chacun redoute de voir se rouvrir et s’agrandir à l’approche des élections présidentielles de 2015. Dans ce contexte mouvant, à la croisée des chemins entre le risque toujours pesant d’une captation partisane du pouvoir et la refondation encore possible d’une nation ivoirienne, on peut s’interroger sur l’apport des processus de justice transitionnelle mis en place lors de la première mandature de Ouattara. Nous nous concentrerons sur l’un de ces mécanismes, parmi les plus emblématiques : la commission dialogue vérité réconciliation.
Une création en fanfare, des résultats en catimini
Pour résorber ces traumatismes, une Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR) a été mise en place en 2011. Son objectif était «d’œuvrer en toute indépendance à la réconciliation nationale et au renforcement de la cohésion sociale entre toutes les communautés vivant en Côte d’Ivoire par le biais de mécanismes de justice traditionnelle». Charles Konan Banny en a été nommé président. Il n’y eut pas d’accord préalable entre les partis avant sa mise en place. La commission était une volonté du président et son mandat a été fixé par ordonnance (celle du 13 juillet 2011). La commission développa un organigramme qui entendait couvrir la société ivoirienne dans sa pluralité et être suffisamment décentré pour toucher les localités les plus éloignées. Elle était composé d’un comité exécutif qui, sous la houlette du président Charles Konan Banny, regroupaient trois vice-présidents représentant différentes confessions religieuses et chefferies traditionnelles, et de sept commissaires centraux représentant les différentes régions du pays et de la diaspora. Ce premier niveau devait être prolongé par des commissions régionales et différentes commissions spécialisées sur des sujets allant de la compréhension des causes profondes de la crise à la typologie des crimes commis et à l’évaluation des réparations à apporter. Sur le papier, la CDVR apparaissait comme un mécanisme complet répondant aux meilleures normes des « boites outils » de la justice transitionnelle.
Mais concrètement, la manière de remplir cet organigramme qui voulait représenter toute la société a été réalisée sans consultation des populations ou des représentants de la société civile et un certain nombre des composantes essentielles de ce projet très rapidement conçu ont été très lentes à être concrètement mises en place. Des enjeux politiques influèrent sur la composition du comité central. Marie Miran-Guyon rapporte ainsi dans le livre tiré de sa thèse Guerres Mystiques en Côte d’Ivoire que Charles Konan Banny estimait « les Eglises évangéliques entièrement responsables de la crise qui a secoué le pays ». C’est pourquoi elles n’obtinrent pas de représentant dans cette assemblée contrairement aux catholiques et aux musulmans. Parmi les commissaires centraux, la présence de Didier Drogba fit sensation mais le célèbre footballer pouvait-il apporter autre chose que son aura ? On estime que la commission a pu bénéficier d’un budget de 15 millions d’Euros. « Insuffisants » disent aujourd’hui certains commissaires pour parer aux critiques (M. Ekra : « Voilà le nœud du problème. Nous n’avions pas les moyens financiers suffisants et les affectations budgétaires n’étaient pas flexibles »). Nombres de commissions vérité dans d’autres pays n’ont pourtant pas été aussi bien financées.
La CDVR était initialement dotée d’un mandat de 2 ans et devait voir ses activités s’achever en 2013. En novembre 2013, un rapport, qui n’était en fait qu’un rapport d’étape a été remis au président Ouattara par Charles Konan Banny, arrivé officiellement au terme de son mandat deux mois plus tôt. Néanmoins, au vu du retard accumulé et des problèmes restant à résoudre, son mandat fut prolongé d’un an. C’est en octobre 2014 que Charles Konan Banny déclara finalement avoir «achevé le plan d’action prévu pour la réconciliation nationale» et c’est en décembre 2014 qu’il remit le rapport final de la Commission.
La Commission fait valoir près de 70 000 auditions de victimes et 80 auditions publiques. Au chapitre des recommandations, elle préconise notamment l’application effective de la loi sur le foncier rural, une meilleure prise en compte de la situation des femmes, la réduction des inégalités au niveau du développement régional, la mise en place d’une armée républicaine moderne, et la mise en place de «journées nationales de la mémoire et du pardon», ainsi que de «journées dédiées au dialogue». Selon Konan Banny, ces journées « seront de nul effet s’il n’y a pas une justice équitable». Aussi, a-t’il souhaité que «les procédures contre les prévenus aux lourdes charges soient accélérées et que soient relâchés les détenus dont la libération ne constitue pas un danger pour la société». L’ensemble des recommandations n’ont cependant pas encore été rendues publiques, à l’instar du rapport de la CDVR.
A l’issue de l’officialisation de ce rapport, la Présidence a annoncé « la mise à disposition dès 2015 d’un fonds de 10 milliards de FCFA (environ 15 millions d’€) pour l’indemnisation des victimes ». Dans l’optique de répartir équitablement ce fonds le Président de la République, a signé le mardi 24 mars 2015 une ordonnance portant création, attributions, composition et fonctionnement d’une nouvelle Institution : la Commission nationale pour la Réconciliation et l’Indemnisation des Victimes (CONARIV) dont l’archevêque de Bouaké, Paul Siméon Ahouana, a été nommé Président. Cette instance a pour mission de faire le recensement des victimes de la crise ivoirienne qui pourront faire valoir leur droit à une réparation.
Malgré un discours officiel positif sur le travail de la CDVR soutenu par une campagne de communication tonitruante, les mérites qu’on lui attribue sont aujourd’hui beaucoup plus nuancés. Un certain nombre d’erreurs ont été commises tant dans sa conception originelle qu’au cours de son travail. Ainsi, de nombreux observateurs aujourd’hui s’entendent pour affirmer que le travail de réconciliation en Côte d’Ivoire est loin d’être terminé. Son action, conduite de 2011 à 2014, n’aura certes pas été complètement inutile mais elle sera restée au final largement insuffisante selon de nombreux observateurs, notamment les ONG des droits de l’homme comme la FIDH, qui évoque un pays toujours fortement polarisé et un bilan « très en-deçà des attentes ». Dans une note d’analyse très éclairante de juin 2015, rédigée par l’universitaire Daniel Lopes pour le centre de recherche bruxellois, le GRIP, le bilan est sans appel : « La réconciliation n’a pas eu lieu ». Pourquoi ?
Des mérites reconnus mais un travail inachevé
La Commission Dialogue Vérité et Réconciliation a vu le jour quelques mois seulement après la fin des affrontements de début 2011. Sa création rapide témoigne d’une volonté politique, en tout cas affichée comme telle, de ne pas laisser s’approfondir la faille creusée au sein de la société ivoirienne par la crise électorale (qui recouvre des crises de nature plurielle). Les instigateurs de cette Institution, en particulier le Président Ouattara, ont souhaité mettre l’accent sur la notion de « dialogue », terme inséré à dessein dans son titre même. L’ouverture d’un espace de discussion et d’expression entre anciens rivaux était donc aussi importante, sinon plus, que la possibilité du pardon, objectif principal généralement poursuivi par les Commissions de ce type. D’une certaine manière cet engagement a été respecté au regard des 70 000 auditions menées sur l’ensemble du territoire. De très nombreuses victimes ont ainsi pu être entendues. Ce travail a bénéficié de l’implication de la société civile au sein de commissions locales, au travers d’une couverture géographique homogène du territoire et d’une connaissance fine des enjeux locaux. Pour porter ce processus un budget relativement important a été déployé (les lamentations ultérieures sur ce budget n’apparaissent que peu justifiées, le problème venant moins du volume que des choix d’affectation de ce budget) ainsi qu’une communication intense, très visible notamment à Abidjan. Enfin, la CDVR, à travers l’implication et la médiation de son président, en dépit de sa personnalité controversée, a contribué à apaiser les tensions politiques opposant notamment le FPI (parti de Gbagbo) et le RHDP (le rassemblement qui soutenait Ouattara). Il a appuyé la recherche de compromis à travers la libération des prisonniers, le dégel des avoirs, le dialogue politique avec l’opposition et un début de réparation des préjudices.
En dépit de ces points positifs, l’action de la CDVR laisse un goût d’inachevé. Un sentiment que l’on retrouve jusque dans le discours du porte-parole du gouvernement ivoirien de l’instance créée en mai 2015, la CONARIV (Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes) : « Cette commission a pour objet de parachever ce que la Commission dialogue, vérité et réconciliation n’a pas pu faire. Pour l’accomplissement de sa mission, elle dispose aussi de cellule administrative et technique. Les victimes n’ont pas été indemnisées. Donc, il faut continuer de recenser toutes les victimes. Après cette phase, on passera à la phase d’indemnisation ». La création même de la CONARIV témoignerait donc des insuffisances de la CDVR et de son échec auprès des victimes même si la directrice du cabinet de la présidence s’en défend, voyant les deux institutions comme complémentaires et non substituables : « La CDVR n’est pas la CONARIV. Ce n’est pas le même type de mandat. La Commission dialogue vérité et réconciliation recherchait la vérité. (…)La CONARIV intervient dans le cadre de la réparation. C’est différent ». Pourtant un grand nombre des membres de la CONARIV, à l’exception notable de Charles Konan Banny, proviennent de la CDVR, accentuant l’impression que celle-ci est à la fois prolongée et corrigée par celle-là.
Des handicaps originels et des erreurs de parcours
Plusieurs carences au niveau de la conception de la CDVR peuvent être identifiées. Comme le décrit Kora Andrieu dans un article pour l’IHEJ, Justice transitionnelle, justice fondationnelle : Retour sur les journées du consensus nationale en Côte d’Ivoire, les Commissions créées dans de nombreux pays «ont toutes en commun d’être des organes d’enquête sur le passé, fonctionnant sur un temps limité et suggérant, à partir de ce qu’elles ont découvert, certaines recommandations à l’État : réparations, poursuite de certains individus, réécriture des manuels d’histoire ou encore construction de monuments spécifiques à la mémoire des victimes. Leur rapport livre une interprétation générale des événements du passé : qui a tué, pourquoi, comment, sur l’ordre de qui». Néanmoins, un des reproches adressés à la CDVR aujourd’hui est de ne pas avoir affiché et poursuivi de manière suffisamment claire de tels objectifs à cause d’un mandat de départ trop ambitieux pour être précis et un fonctionnement trop opaque pour être compris par les populations. En effet, le Président Ouattara au cours de l’élaboration du projet a exprimé son admiration pour le modèle Sud-africain, centré sur la notion de « pardon » et le troc vérité-amnistie. Or, le président et la Commission ont également toujours mis en exergue la nécessité impérieuse de conduire des procès. A l’heure des bilans, la CDVR pâtit encore de ce flou originel. En sus, malgré cette volonté affichée d’une justice équitable, le lien de la CDVR avec la Justice et notamment avec la Cellule spéciale d’enquête (CSE), devenue par la suite la Cellule spéciale d’enquête et d’investigation (CSEI), est inexistant. Ce lien aurait pu constituer un soutien aux enquêtes sur les crimes commis durant la crise et un lieu d’information pour des victimes désemparée ou ignorante du fonctionnement du système judiciaire. En son absence, même si le travail de la CSEI apparaît prometteur, la performance quantitative des auditions réalisées par les commissions locales de la CDVR ne pourra pas se traduire sur le terrain juridique en résultats effectifs. Ce qui frappe d’ailleurs c’est tout à la fois la multiplicité des dynamiques et leur disjonction, en particulier entre la CDVR, les enquêtes et procès au niveau national et les procès devant la Cour pénale internationale.
L’autre trait frappant c’est la contradiction entre d’un côté une forte campagne médiatique de communication pour se faire (re)connaître de la population et de l’autre côté des activités peu visibles et le manque de transparence et d’inclusivité du processus qui ont provoqué frustration et incompréhension. Dans son rapport « Côte d’Ivoire : choisir entre la justice et l’impunité », la FIDH estime que l’implication par les autorités ivoiriennes de la société civile et des victimes dans l’élaboration du projet n’a pas été suffisante. Les victimes ont été « entendues » mais peu consultées. Elles n’ont pas non plus été bien accompagnées, sur le plan du soutien psychologique, en particulier pour les victimes de viol. Dans une enquête menée par la coalition ivoirienne pour la cour pénale internationale (« Nous avons soif de justice », rapport d’enquête sur la perception de la population sur la justice nationale, internationale et transitionnelle, alors que 60% des sondés ont entendu parler de la CDVR, seulement 28 % ont pris part directement à une activité de la CDVR (à Abidjan, 70% n’ont jamais participé à une activité de la commission). Ainsi, que ce soit dans la conception ou la réalisation de ses travaux, la commission est restée trop éloignée de la population. Ce décalage s’observe également dans l’opacité dont a fait preuve la CDVR à plusieurs égards : 80 victimes sélectionnées via une procédure inconnue pour participer aux auditions publiques nationales, dont la retransmission télévisuelle prévue n’a toujours pas eu lieu. De plus, les deux rapports transmis en 2013 et en 2014 par la CDVR au chef de l’Etat ne sont toujours pas accessibles au public.
« La réconciliation ne pourra avoir lieu que si la CDVR sait s’entourer d’« hommes d’éthique, d’hommes de valeur » selon le père Bony Martial (les journées du consensus national en côte d’ivoire). Pourtant le choix des personnalités à la tête de CDVR ne s’avère pas forcément le plus judicieux, notamment la nomination de Charles Konan Banny à sa tête. En effet, ce dernier était premier ministre sous la présidence de Gbagbo et conseiller de Ouattara pendant la campagne présidentielle de 2010. Ses ambitions politiques claires avec vues sur le siège présidentiel ont pu inciter Ouattara à le placer à la tête de la CDVR lui accordant ainsi un rôle honorifique tout en l’écartant au moins provisoirement de la course politique. Or, la CDVR aurait davantage bénéficié d’un Président neutre politiquement, ne lui faisant pas courir le risque d’une instrumentalisation politique ou d’une perception partisane. Cette nomination a donc contribué à donner à la CDVR une couleur politique plutôt que technique. La notoriété de Konan Banny y a certainement gagné mais la confiance des populations en cet outil censé être à leur service y aura, elle perdu. Et ce d’autant plus que Konan Banny ne tourna pas la page politique de sa carrière mais s’employa à mettre la CDVR au service de ses ambitions quitte à accélérer le timing et à enjoliver la situation. Au cours d’une interview suivant la remise officielle du rapport final, il affirma avoir “terminé le plan d’action proposé au chef de l’Etat” alors même que des auditions avaient encore cours dans le pays[1]. Deux mois après, Konan Banny présentait sa candidature à l’investiture du candidat PDCI pour la présidentielle de 2015. Il ainsi fait en sorte de sortir juste à temps de son placard doré, sans en claquer la porte mais en s’affranchissant de la ligne de son propre parti, le PDCI, qui restera fidèle au président sortant, et en adoptant un discours très virulent à l’encontre de celui qui l’avait nommé à la CDVR, l’accusant de « dérive autoritaire » et d’avoir instauré un climat de « surveillance permanente » (entretien au journal Le monde du 5 août 2015). Lorsque celui qui devait incarner la réconciliation divorce de la coalition à laquelle il appartenait, il brouille forcément le message d’apaisement de l’institution qu’il dirigeait. Comme en plus, son rapport n’est pas rendu public par le président, sans qu’on en sache la véritable raison, si elle tient à la teneur des recommandations ou à la reprise de la rivalité politique entre Ouattara et Konan Banny, le message de la CDVR apparaît non seulement parasité par les ambitions de son chef mais aussi mis sous le boisseau par son créateur. Difficile dans ces conditions de porter une appréciation définitive sur la qualité et la portée réelle de la CDVR.
Des conséquences à court et à long terme
Les frustrations de nombreux ivoiriens sont d’autant plus vives que cette Commission avait créé des attentes fortes auxquelles elle n’a pas répondu. Une enquête réalisée en juillet 2013 montre que 61,22% des sondés marquent leur intérêt à l’égard de la CDVR mais émettent des réserves quant au travail de cette institution. Ils estiment que le processus se trouve grandement entravé par le «manque de volonté politique», «l’insécurité et la persistance de la belligérance politique » et «l’absence de dialogue et de vérité». (Sondage de l’observatoire de la justice transitionnelle en Côte d’Ivoire de juillet 2013). Un rapport confirmé deux ans plus tard par le nouveau sondage – mentionné précédemment – effectué en 2015 par la coalition ivoirienne pour la CPI. C’est pourquoi la réponse financière qu’apportera la CONARIV ne devrait constituer qu’un apaisement à court-terme pour les victimes – et un éventuel argument de campagne supplémentaire pour le Président Ouattara : “Le travail de réconciliation progresse » voir « sera terminé pour les élections ». Des études regroupées par la revue canadienne des études africaines (vol. 48, iss.2, 2014), tendent pourtant à montrer qu’il y a eu en Côte d’Ivoire plus souvent continuité dans les institutions et les relations sociales que rupture. Le « post-conflit » n’a pas été la « table rase » ou l’an zéro dont certains rêvaient pour pouvoir « refonder » un nouveau pacte social.
En somme, la CDVR bien que bénéfique à un certain degré pour l’écoute des victimes et le dialogue politique présente un bilan entachée de nombreux défauts: elle a été portée comme un exercice de communication obligé, sans véritable vision politique quant à l’articulation et l’utilisation effective des résultats des auditions de victimes, sans réflexion sur la méthode et le processus et se traduit finalement par une forme de réparation financière. Parce que la rhétorique engendrée par les experts et conseillers internationaux de la justice transitionnelle s’est étoffée et professionnalisée et que ses concepteurs la maîtrisait, parce qu’elle était dotée d’une structure complexe et ambitieuse, parce qu’elle a su jouer sur la symbolique et les discours puis faire valoir des résultats quantitatifs, la CDVR avait et pour certains a encore, tous les avenants d’un fort et beau projet de justice transitionnelle. Mais parce que son rapport n’a toujours pas été publié, des mois après sa remise officielle, parce que son fonctionnement aura été opaque et laborieux, parce qu’elle n’aura eu que de faibles concrétisations, la CDVR apparait aussi vide. Une belle coquille vide.
Les faibles espoirs de justice se sont récemment déplacés là où en 2011 le scepticisme prévalait : le terrain judiciaire. Il y a peu, la totale impunité des « Com-zones » (chefs de milice) qui avaient soutenus Ouattara et le procès de Simone Gbagbo qui a été très lourdement condamnée en mars 2015, imposaient encore l’image d’une justice sélective et non crédible. Mais aujourd’hui, l’avancée des enquêtes visant des chefs militaires qui paraissaient encore intouchables hier et la prochaine ouverture à La Haye, le 25 novembre, du procès de Laurent Gbagbo infléchissent un peu ce sombre point de vue. Près de cinq ans après le conflit meurtrier de 2010/2011, même si Ouattara a su mettre son pays sur la voie du redressement économique, les questions de justice laissées en arrière-plan restent posées et demeurent au cœur des évolutions possibles d’une région partagée entre déceptions et espoirs.
Cet article est paru sur le site de l'IHEJ le 5 octobre 2015