La chef des enquêteurs de l'ONU qui vont se pencher sur l'utilisation d'armes chimiques en Syrie estime que la tâche promet d'être rude, car il sera notamment difficile d'établir une liste exhaustive des responsables.
"Est-ce que je vais avoir le nom, le prénom et l'âge des auteurs? Je n'en ai aucune idée", a déclaré Virginia Gamba dans une interview à l'AFP dans son bureau de l'ONU. "Ca va être très dur à obtenir".
Pour retrouver les coupables, l'équipe de 24 experts qui travailleront sous la houlette de Mme Gamba devront adhérer à des lignes de conduite "solides, objectives et impartiales" que "personne ne pourra remettre en cause".
Experte en désarmement d'origine argentine, Mme Gamba conduit le Joint Investigative Mechanism (JIM, mission d'enquête conjointe) mis en place par le Conseil de sécurité en août, après des attaques l'an dernier au chlore contre trois villages syriens.
Se qualifiant elle-même de "technicienne", Mme Gamba a été choisie notamment parce qu'elle a déjà travaillé sur deux missions de l'ONU portant aussi sur l'utilisation d'armes chimiques en Syrie.
Mais cette enquête, "c'est une autre paire de manches", estime-t-elle, car elle est plus large et pose davantage de défis, comme l'identification des responsables de ces attaques, conformément à une méthodologie incontestable.
L'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC, OPCW en anglais) a déjà mené trois missions et conclu que du chlore avait été probablement utilisé contre des villages tenus par l'opposition, tuant 13 personnes.
Mais conformément à son statut, l'OIAC n'a désigné aucun responsable pour ces attaques menées dans les régions d'Idleb et de Hama (ouest).
L'équipe de Mme Gamba est tenue d'aller plus loin pour déterminer non seulement qui sont les responsables mais aussi identifier leurs complices, les organisateurs, ceux qui ont financé et soutenu ces attaques.
- 'Tisser la toile' -
"L'objectif, c'est de tisser une large toile de tous ceux qui sont tenus pour responsables, directement ou indirectement, du début jusqu'à la fin", explique Mme Gamba, 61 ans, qui est directrice de l'agence de l'ONU chargée du désarmement.
"Mais c'est difficile (car) ça s'est passé il y a un an", modère-t-elle.
La création de ce JIM est l'initiative la plus concrète prise par l'ONU dans cette guerre qui a fait depuis quatre ans plus de 250.000 morts et déplacé la moitié de la population syrienne.
L'équipe d'enquêteurs va commencer à travailler à la mi-novembre, avec des bureaux à New York, La Haye et Damas, et devrait publier de premiers résultats en février.
Le JIM a été créé pour une année, mais son mandat pourrait être prolongé.
D'après l'accord négocié avec le régime syrien, l'équipe de l'ONU pourra conduire des missions sur le terrain, parler à des témoins, et réunir des éléments de preuve.
Mais même si les enquêteurs parviennent à établir une liste exhaustive de noms, le Conseil de sécurité devra adopter une nouvelle résolution pour sanctionner ou prendre des mesures contre ces responsables.
Ce qui semble improbable étant donné que la Russie et la Chine, qui disposent d'un droit de veto, ont bloqué l'an dernier des initiatives visant à juger le régime syrien pour crimes de guerre devant le Tribunal pénal international (TPI).
La Russie, grande alliée du régime de Bachar al-Assad, a longtemps estimé qu'il n'y avait pas de preuves d'une responsabilité des forces syriennes dans ces attaques, même si les Etats-Unis répètent que du chlore a été utilisé dans des barils d'explosifs largués par hélicoptère. Or, selon les pays occidentaux, seul le régime syrien dispose d'hélicoptères.
La Russie et les Etats-Unis ont joué un rôle-clé dans la destruction des armes chimiques syriennes, conformément à un accord scellé en 2013 après une attaque au gaz sarin dans une banlieue de Damas.