La Cour pénale internationale (CPI) peut-elle cette fois-ci espérer une décision ferme de la part des Nations unies ? Cette cour permanente basée à La Haye vient de saisir le Conseil de sécurité du refus des États ougandais et djiboutien d’exécuter les mandats d’arrêt visant le président soudanais Omar Béchir. L’homme fort de Khartoum n’a pas été inquiété lorsqu’il s’est rendu dans ces deux pays en mai dernier pour les cérémonies d’investiture de ses homologues Yoweri Museveni et Ismaïl Omar Guelleh. Il y a un mois, la Procureure de la CPI, Fatou Bensouda avait attaqué frontalement le Conseil de sécurité à New York, l’accusant sans détours de lui compliquer la tâche. Et pourtant, ne cesse-t-elle de rappeler, c’est ce même Conseil de sécurité qui a déféré à la CPI la situation au Darfour, dans le cadre de laquelle ont été délivrés les deux mandats d’arrêts à l’encontre du président Béchir.
Dans deux décisions séparées rendues le 11 juillet, la CPI a pris acte du défaut d’exécution de la part de l’Ouganda et de Djibouti de demandes d’arrêter et remettre à la Cour le président Béchir. La CPI a ainsi décidé de référer cette question à l’Assemblée des États parties au Statut de Rome (texte fondateur de la Cour) et au Conseil de sécurité de l’ONU. « Il leur appartient désormais de prendre les mesures qu'ils jugent nécessaires en la matière », indique la Cour, dans un communiqué.
Omar Béchir est visé par deux mandats d’arrêt de la CPI pour cinq chefs de crimes contre l'humanité, deux chefs de crimes de guerre et trois chefs de génocide. Selon l’accusation, les crimes en question ont ciblé, entre 2003 et 2008, les groupes ethniques des Four, Masalit et Zaghawa, dans la région du Darfour.
La situation au Darfour a été déférée à la CPI par la Conseil de sécurité des Nations unies dans sa résolution 1593 du 31 mars 2005.
L’Ouganda et Djibouti, en tant qu’États parties au Statut de Rome, ont l’obligation d’exécuter les mandats d’arrêt émis par la CPI.
Selon les deux décisions de la Cour, la non-coopération de Djibouti et de l’Ouganda a empêché la CPI d'exercer ses fonctions et pouvoirs en vertu du Statut de Rome. Les autorités des deux pays n'ont pas non plus soulevé auprès de la Cour toute difficulté qui aurait pu les empêcher d'exécuter les demandes d'arrestation et de remise d’Omar Béchir, souligne la CPI.
« Arrogance de l’Occident »
Ce n’est pas la première fois que le Conseil de sécurité est saisi d’une plainte de la Cour pénale internationale contre un État africain ayant refusé d’exécuter les mandats d’arrêt visant le président soudanais, qui continue d’ailleurs de voyager librement à travers le continent. Mais aucune décision n’a été encore été prise à ce jour par ce Conseil qui est accusé aujourd’hui d’avoir fait de la CPI un instrument de persécution des dirigeants africains. Ainsi, certains parmi eux dénoncent aujourd’hui ouvertement « l’arrogance de l’Occident, l’impérialisme ou le néocolonialisme » pour s’opposer à toute tentative de traduire devant la Cour un chef d’État africain en exercice.
Le ton est monté le 9 juin au Conseil de sécurité entre la Procureure de la CPI et certains diplomates en poste au siège de l'ONU à New York. « Quel message envoyons-nous si ceux qui sont visés par des mandats d'arrêt peuvent se déplacer librement? », a interrogé Fatou Bensouda qui présentait son rapport d'étape sur la situation au Darfour. « Mes innombrables appels afin que vous agissiez n'ont pas été entendus », a déploré la Procureure, dénonçant un « silence assourdissant » du Conseil de sécurité. « Le Conseil ne doit pas et ne peut pas rester silencieux », a martelé Bensouda. « L'irrespect des décisions de la Cour a encouragé certains États à exprimer publiquement leur fierté de ne pas se soumettre à l'autorité du Conseil », a poursuivi la Procureure.
Un réquisitoire jugé trop osé notamment par le représentant de la Fédération de Russie, Evgeny Zagaynov, qui s'est dit étonné « du ton des exigences adressées au Conseil de sécurité par la Procureure ». « Nous attendions d'elle un rapport détaillé sur son action et non pas son avis sur ce que fait le Conseil », a déclaré le diplomate russe, aussitôt appuyé par ses collègues du continent africain.
Le Soudan demande à l’UA d’enquêter sur les motivations de Fatou Bensouda
Le représentant du Soudan, Omar Dahab Mohamed, a fait valoir que son pays, qui n'est pas partie au Statut de Rome, n'avait aucun lien avec la Cour pénale internationale. Ainsi donc, pour Khartoum, la résolution 1593 du Conseil de sécurité déférant la situation du Darfour à la CPI, est « nulle et non avenue ».
Revenant à la charge, Fatou Bensouda a alors dénoncé une tentative de « désinformation » du diplomate soudanais.
A l'exception de la Russie et de la Chine, les grandes voix du Conseil de sécurité ont apporté leur soutien à la Procureure de la CPI. Le représentant de la France, Alexis Lamek, a ainsi affirmé que l'objectif de lutte contre l'impunité au Darfour restait non seulement valide, mais pleinement nécessaire, étant donné la poursuite des violences. Un discours certes affranchi de l'acrimonie de ces homologues russe et soudanais, mais qui ne change rien à la situation : de nombreuses capitales africaines vont continuer à dérouler le tapis rouge pour le président Béchir.
Mais le Soudan ne s’en est pas arrêté là. Il a officiellement demandé à la Commission de l’Union africaine (UA) sur la Cour pénale internationale d’enquêter sur « les motivations politiques » derrière les agissements de Fatou Bensouda.