Alors que le Conseil de sécurité de l'ONU se réunit lundi en urgence sur le Burundi, les déclarations à forte connotation ethnique de certains membres du pouvoir ont fait resurgir le spectre du génocide de 1994 au Rwanda voisin.
La situation entre les deux pays reste néanmoins très différente, estime Christian Thibon, professeur à l'Université de Pau (sud-ouest de la France) et spécialiste de l'Afrique centrale, qui souligne plutôt la "logique d'affrontement" du président Pierre Nkurunziza et en pointe les limites.
Q: La comparaison entre le Burundi et le Rwanda d'avant 1994 vous parait-elle pertinente?
R: "Il est toujours facile d'établir des comparaisons historiques, mais le seul élément tangible d'une comparaison avec le Rwanda de 1993-94 prégénocidaire est que nous sommes dans une situation de montée des violences, de crise ouverte, d'escalade. Cela ouvre tout un champ de passions, de vengeances et de peurs qui radicalise le phénomène, alors qu'on sait que ces crises ouvertes dans la région des Grands Lacs sont des périodes de violences extrêmes.
Il est important de signaler que le discours ethnique, porté par certains membres du pouvoir, ne mord pas dans l'opinion publique, la société. Celle-ci apparait plutôt une victime, passive, il n'y a pas de véritable mobilisation qui fait penser que nous sommes dans un scénario d'ethnisme exclusif".
Q: Une sortie de crise négociée est-elle toujours envisageable?
R: "Rien dans les discours ne le laisse apparaître. Ce qui est alarmant, c'est que derrière ces discours, il y a l'idée qu'il y aura une redistribution des richesses, que les violences se traduiront par un accès aux ressources: un terrain, une bananeraie, la maison, le mobilier, la terre... Il y a un vrai danger que cette escalade verbale et ce danger-peur résonnent au niveau social, chez certains dont les jeunes, dans leurs rancoeurs et leurs frustrations, les poussant à la violence.
Nous sommes plus dans un scénario de +politicide+, que d'un possible génocide, il s'agit d'écraser l'adversaire politique. Il n'en reste pas moins très inquiétant, car il peut s'ethniciser soudainement en cas de circonstances exceptionnelles. Et surtout, on a l'impression que le pouvoir veut l'épreuve de force. Le pouvoir burundais se bunkerise, s'enferme, s'isole, avec un cercle de dirigeants de plus en plus restreint. Ce qui fait que la négociation régionale est repoussée sinon refusée, on est plus dans un dialogue de sourd que dans une sortie de crise.
Q: Que pensez vous des opérations de désarmement forcé en cours dans certains quartiers de la capitale?
R: "Ce qui se passe aujourd'hui sur Bujumbura, c'est la +pacification+ de deux ou trois quartiers, foyers de contestation au président Nkurunziza. Dans l'histoire de Bujumbura, cela rappelle les opérations de +pacification+ du quartier hutu de Kamenge en 1994 par l'armée (alors dominée par la minorité tutsi), un épisode particulièrement violent et fondateur de la rébellion hutu de l'époque lors de la guerre civile.
Ceux qui ont subi cette répression sont en train de l'appliquer contre leurs ennemis politiques d'aujourd'hui, aussi bien hutu que tutsi, à Cibitoke, Mutakura et d'autres quartiers. Militairement, le pouvoir pourra sans doute réprimer la petite rébellion qui y est active. Ces jeunes en armes, anciens manifestants opposés au 3e mandat de Nkurunziza, restent à ce stade encore relativement désorganisés, et ils ne pourront sans doute pas résister à une armée aguerrie.
Ce sera une victoire militaire pour le pouvoir, mais une défaite politique à plus long terme. Toute politique de répression massive est une victoire de courte durée. La répression à Kamenge en 1994 n'avait fait que renforcer la rébellion à l'époque. Le scénario est le même aujourd'hui, mais les acteurs ont changé de camp".
Propos recueillis par Hervé Bar.