Au Soudan du Sud, un fragile accord de paix signé en août 2015 semble compromis alors que les combats ont à nouveau repris à Juba en juillet dernier et que le vice-président Riek Machar a fui la capitale. De nombreux civils ont été tués et ont été la cible de graves violations des droits de l'homme. L’ONG américaine Enough Project a récemment publié un rapport étudiant les causes du conflit au Soudan du Sud. Dans cette interview, l'auteur du rapport Brian Adeba affirme à JusticeInfo qu’il n'y aura pas de fin à l'impunité à moins que la communauté internationale obtienne que l'accord de paix soit appliqué.
Le Soudan du Sud, né en 2011, le plus jeune pays du monde, riche en pétrole, n'a jamais réellement connu la paix. Avec une population d'environ 11,3 millions, il est l'un des pays les plus pauvres de la planète, caractérisé par «une violence ethnique, des niveaux élevés de pauvreté et d'exclusion, un faible niveau d'alphabétisation, des conflits frontaliers, d'inégalité entre les sexes, d'accès limité aux services de base, d'insuffisance des infrastructures et de faiblesses des institutions », selon le Programme des Nations Unies pour développement. A l’époque où il faisait encore partie du Soudan, il a été dominé par le nord, contre lequel il a combattu pour quelques 22 ans jusqu'à ce qu'un accord de paix ait été conclu en 2005. Cela a ouvert la voie à l'indépendance du Soudan du Sud en 2011 après un référendum.
Les espoirs étaient grands après l'indépendance, mais la nouvelle République du Soudan du Sud a sombré dans la guerre civile en décembre 2013, alimentée par la rivalité entre le président Salva Kiir, de l’ethnie Dinka, et le vice-président Riek Machar, de l’ethnie Nuer. Un accord de paix conclu en août 2015 a finalement conduit à la formation d'un gouvernement de transition en avril de cette année, mais les combats ont à nouveau éclaté en juillet dans la capitale Juba. La mission des Nations Unies forte de 12.000 casques bleus au Soudan du Sud semble impuissante pour stopper les abus contre les civils. 300.000 ont fui vers l'Ouganda depuis le mois dernier.
L'accord de paix appelle à des réformes institutionnelles fondamentales et des mesures de justice transitionnelle, y compris la création d’un tribunal spécial hybride, mais celles-ci n’ont pas été appliquées. JusticeInfo s’est entretenu avec Brian Adeba de l’ONG américaine « Enough Project », qui a récemment rédigé un rapport sur le Soudan du Sud:
JusticeInfo: Le « Enough Project » a dernièrement lancé une pétition exhortant le gouvernement des États-Unis à faire davantage pour aider le Soudan du Sud. Selon vous, que devraient faire les États-Unis ?
BA: Étant le pays le plus puissant du monde, les États-Unis ont un grand nombre de moyens et de ressources à leur disposition qui pourraient aider à lutter contre l'impunité au Soudan du Sud. Par exemple, au cœur de ce conflit se trouve le pillage des caisses de l'Etat, le pillage des ressources de l'Etat, les sorties d’argen. Le président Salva Kiir a lui-même dit que le pays a perdu environ 4 milliards de dollars. Quand vous lisez le rapport, vous voyez qu'il y a un détournement constant de l'argent de l'État. Maintenant, où va cet argent ? Il est aux mains des élites politiques, il est sorti du pays, principalement vers les pays voisins où il est placé dans des banques. Dans la plupart des cas, ces sommes quittent le pays en devises fortes, c’est à dire en dollar américain. Maintenant, toute transaction en dollars américains peut, à un moment donné, être tracée . Le fait qu'ils utilisent le dollar américain est une indication que les Etats-Unis peuvent avoir une certaine compétence sur le transfert du mouvement de cet argent dans le système financier mondial. [...] Nous pourrions donc aider, d'une manière ou d'une autre, à arrêter le mouvement illicite de l'argent du Soudan du Sud. Une autre action que les États-Unis peuvent entreprendre est d’imposer des sanctions sur les individus, comme des interdictions de voyage afin d’envoyer un message clair, que l'impunité a un coût. Ceci est un objectif global qui demande également la participation des partenaires régionaux.
JusticeInfo: Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme cette semaine a accusé des soldats gouvernementaux d’atrocités contre des civils, y compris des viols collectifs et des exécutions extrajudiciaires. Comment voyez-vous les perspectives de justice pour les violations des droits de l'homme au Soudan du Sud ?
BA: L'accord de paix est très clair sur le fait qu’un tribunal hybride sera mis en place pour juger les auteurs de ces crimes. Je pense qu'il est très important de veiller à ce que l'accord de paix survive. Non seulement nous devons veiller à ce qu'il engage la réforme des institutions de gouvernance, mais aussi que le tribunal hybride soit mis en place pour juger ces personnes. Dans le même temps, les sanctions ciblées que nous demandons ne doivent pas se concentrer uniquement sur les crimes financiers, mais aussi viser les dirigeants qui ont commis ces violations flagrantes des droits de l'homme. Il y a d'ores et déjà des gens sur la liste américaine des personnes désignées qui ont commis ces crimes au Soudan du Sud, et cette liste doit être élargie.
JusticeInfo: L'Union africaine a soutenu l'idée d'envoyer une force de maintien de la paix supplémentaire au Soudan du Sud, et il a été rapporté samedi dernier que le gouvernement a finalement accepté. Pensez-vous qu’une telle force aidera ?
BA: Je pense que c’est un développement bienvenu. Les parties au conflit, si elle restent livrées à elles-même, n’auront pas l'intention de mettre en œuvre l'accord de paix. L'effondrement récent des arrangements de sécurité qui ont abouti à la sortie de Riek Machar de Juba est une illustration de l'intransigeance des dirigeants. La communauté internationale devrait aller de l’avant avec la logistique et le financement requis. Il faut définir un mandat clair, que cette force protège les civils, qu'elle accède à la zone tampon et renforce l'accord de paix. Elle ne devrait pas se limiter à Juba. Juba n’est pas le seul endroit où l'accord de paix peut se défaire, c’est pourquoi elle devrait jouer un rôle dans tout le pays.
JusticeInfo: Les acteurs politiques au Soudan du Sud ne semblent pas prêts à la paix. Donc, si la paix est imposée à eux, ses chances de durer sont faibles ?
BA: Il y a une réticence de la part des partenaires. Mais ce n’est pas à eux de décider. Nous ne devrions pas laisser leurs étroits intérêts triompher contre la majorité de la communauté sud-soudanaise. Donc, si une force est nécessaire pour assurer que l'accord de paix soit mis en œuvre pour le bénéfice du peuple du Soudan du Sud plutôt que pour les intérêts de ces deux leaders, alors oui je pense qu’elle doit exister. Le conflit que nous avons au Sud-Soudan résulte d’un échec des institutions à offrir les freins et contrepoids nécessaires qui auraient dû contrer les excès de l'élite politique. À l'avenir, ce dont nous avons vraiment besoin au Soudan du Sud, c’est une réforme du système, nous avons besoin d’institutions. C’est une priorité absolue, parce que sans une réforme des institutions, nous verrons les mêmes scénarios se répéter.