Pierre Nkurunziza, président à vie? Pourquoi pas ? Dans un rapport d'étape publié à la fin du mois dernier, la Commission nationale du dialogue inter-burundais (CNDI) affirme que la majorité des Burundais consultés s'opposent à la limitation du nombre de mandats présidentiels. Pour l'opposition, ce rapport ne traduit que la volonté de la tendance dure du parti au pouvoir et éloigne encore davantage la perspective d'une paix négociée au Burundi. Le pays traverse une crise profonde depuis que le président Pierre Nkurunziza a été désigné fin avril 2015, candidat de son parti, pour un troisième mandat jugé anticonstitutionnel par l'opposition et la société civile. La situation a été exacerbée par son élection trois mois plus tard.
Créée dans la contestation par un décret du président Nkurunziza, le 23 septembre 2015, la Commission nationale du dialogue inter-burundais (CNDI) a restitué le 24 août dernier un résumé condensé de son premier rapport semestriel. « La grande majorité des participants au dialogue veulent que le président de la République puisse exercer plus de deux mandats, que la Constitution prime sur l'Accord d'Arusha », a indiqué le président de la Commission, Mgr Justin Nzoyisaba. Toujours selon l'évêque, la plupart des personnes consultées demandent « la suppression des imperfections se trouvant dans la Constitution et l'Accord d'Arusha », l'amendement des lois régissant les formations politiques, les organisations de la société civile et les confessions religieuses « pour qu'elles se conforment à leurs statuts ». Ce prélat de l'Eglise méthodiste unie du Burundi a toutefois souligné que sa commission n'avait pas encore terminé le dépouillement de tous les avis recueillis et qu'elle devait encore mener des consultations, notamment dans les camps de réfugiés burundais à l'extérieur du pays.
Un rapport "télécommandé" par Nkurunziza
Deux jours après cette sortie très médiatisée, le Conseil national pour le respect de l'Accord d'Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi et de l'Etat de droit (CNRED), la principale plateforme de l'opposition burundaise, a dénoncé, dans un communiqué, un rapport « télécommandé » par Pierre Nkurunziza.
Signé en 2000, dans la petite ville septentrionale tanzanienne d'Arusha, à l'issue de longues négociations, cet accord historique, considéré comme le socle du nouveau Burundi, avait ouvert la voie à la fin de la guerre entre l'armée burundaise, alors dominée par la minorité tutsie, et des rébellions hutues. L'Accord d'Arusha et la Constitution de 2005 qui en est l'émanation limitent à deux le nombre de mandats présidentiels consécutifs. Pour le CNARED, ce rapport « a pour objet final l'instauration au Burundi d'un monopartisme et une légalisation de la terreur de la pensée unique en cours ». La plateforme affirme que « l'Accord d'Arusha est un pacte de cohabitation sacré et un socle de la stabilité du Burundi qui a fait ses preuves ». Pour cette plateforme, « s'arroger le droit de l'amender unilatéralement est un dédain, un acte irresponsable et une déclaration de guerre au peuple burundais ».
« Lever le verrou de la limitation des mandats présidentiels contenu dans l'Accord d'Arusha et dans la Constitution qui en découle équivaut à légaliser le coup de force de Monsieur Pierre Nkurunziza qui s'est octroyé un troisième mandat illégal », poursuit le CNARED, dénonçant une « gymnastique visant aussi à permettre » à l'actuel président « de rester au pouvoir ad vitam aeternam ».
Le signataire du texte, Jean Minani, président du CNARED, estime enfin, dans un appel aux Burundais, que « si la communauté internationale continue dans ses hésitations, l'autodéfense devient de plus en plus la seule option qui, demain, nous restera. »
« Que la communauté internationale défende d'Accord d'Arusha »
Tout aussi virulent, Léonce Ngendakumana, l'une des rares figures de l'opposition burundaise encore à Bujumbura, a qualifié le rapport de « honte pour la Commission » et son président, Mgr Nzoyisaba. Interrogé par la Voix de l'Amérique, le président de l'Alliance démocratique pour le changement (ADC-IKIBIRI) a fustigé « une commission au service de cette poignée d'individus qui ont renversé l'Accord d'Arusha et la Constitution ». Pour lui, « le peuple burundais n'a pas été consulté » et la CNDI n'a cherché qu'à « faire accréditer le thèse de Nkurunziza selon laquelle l'Accord d'Arusha n'a plus de valeur ».
Sur un ton moins dur, l'ancien président Domitien Ndayizeye, appelle lui aussi à préserver l'Accord d'Arusha qui avait, de son point de vue, permis aux Burundais, quelle que soit leur appartenance ethnique, de rêver de paix, de sécurité et de réconciliation. «Aujourd'hui, il y a tendance à jouer sur la corde ethnique, à rompre les équilibres au sein des corps de défense et de sécurité. L'Accord d'Arusha résiste, il faut que la Communauté internationale et la sous-région qui sont garantes de ce texte le défendent pour qu'il ne continue pas à être vilipendé », demande Ndayizeye cité par le journal en ligne Iwacu-Burundi.
« On ne peut pas abolir l'Accord d'Arusha du jour au lendemain. Il peut être évalué, mais l'évaluation doit être objective, pas sournoise (…) Modifier la constitution ou enterrer l'Accord d'Arusha n'est pas ce qui résoudra les problèmes du Burundi», renchérit le premier vice-président de l'Assemblée nationale, Agathon Rwasa, leader des Forces nationales de libération (FNL). Agathon Rwasa, qui a participé à quelques séances de la CNDI, dit par ailleurs avoir « senti qu'il y a avait une certaine manipulation » dans la conduite des travaux de la Commission.
« La CNDI a rassemblé tout le monde »
Ce que nie le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD) –parti présidentiel- par la voix de son nouveau chef, Evariste Ndayishimiye. « La CNDI a rassemblé tout le monde pour recueillir toutes les idées, mais sans faire aucune orientation. Elle n'invite pas les membres du CNDD-FDD seulement. Son rapport a été fidèle aux contributions de tout le monde», affirme le général Ndayishimiye, élu le 20 août, secrétaire général et désormais plus haut responsable du parti au pouvoir.
Quel usage le régime va-t-il faire de ce rapport ? C'est encore le chef du CNDD-FDD qui répond : « Le gouvernement a reçu ce rapport, mais n'a pas encore réagi. Il doit juger de ce qui, dans ce rapport, est bien ou mauvais pour le Burundi, par rapport à la volonté de la population burundaise ». A suivre.