La réunion du Conseil de sécurité de l'ONU sur la tragédie syrienne s'est déroulée mercredi dans une ambiance de plomb, et a donné lieu à une passe d'armes glaciale entre les deux principaux protagonistes du dossier, le Russe Lavrov et l'Américain Kerry.
En Syrie, la guerre fait rage, les bombes pleuvent. A New York, le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon ouvre la séance du Conseil en évoquant une tragédie "qui jette la honte sur nous, un échec collectif qui devrait hanter tous les membres de ce Conseil". Le ton est donné.
Autour de la table en fer à cheval ont pris place les représentants des principaux pays impliqués directement ou indirectement dans l'"enfer" syrien, selon la formule de Ban. Un conflit qui a fait plus de 300.000 morts en cinq ans et demi.
Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov est le premier des protagonistes à prendre la parole. Calme, froid, il décline les éléments de langage immuables de la Russie, fidèle alliée du régime de Damas: la priorité en Syrie est d'éliminer les terroristes et les jihadistes, la rébellion est responsable des violations du cessez-le-feu, le processus de négociation politique doit s'ouvrir sans "préalable" ou "ultimatums" de la part de l'opposition, qui réclame à cor et à cri le départ du président Bachar al-Assad.
Concentrés, les autres ministres, comme l'Américain John Kerry ou le Français Jean-Marc Ayrault, prennent des notes.
Lavrov en vient à évoquer le bombardement de lundi contre un convoi humanitaire près d'Alep (nord), qui a fait une vingtaine de morts et suscité un tollé dans la communauté internationale. Moscou et le régime de Damas sont accusés d'être les auteurs de ce raid.
Impassible, le ministre russe réclame une enquête "transparente et rigoureuse" sur le bombardement et accuse l'opposition d'être responsable de la reprise des combats.
C'est au tour de Kerry de parler. Il reste silencieux quelques instants, pour accroître l'intensité dramatique, puis réplique, la machoîre serrée, plein de rage contenue.
"J'ai écouté mon collègue de Russie, et j'ai comme le sentiment que nous sommes dans des univers parallèles", jette-t-il.
"Ce n'est pas une blague, c'est une affaire grave", martèle le secrétaire d'Etat américain. Dans un discours d'une vingtaine de minutes, il réplique un par un aux arguments de son collègue russe.
A propos du bombardement: "les faits, rien que les faits. Les témoins, les rapports des organisations internationales" qui ont tous accusé Moscou.
Sur les négociations politiques: "Comment des gens peuvent-ils s'asseoir à la même table qu'un régime qui bombarde des hôpitaux et largue du chlore encore et encore et encore et encore, en toute impunité ?"
"Regardons les choses en face: tout le monde dans cette salle comprend qu'il y a des soutiens (du régime) à cette table - et nous savons qui ils sont- qui ont la possibilité d'influencer les acteurs de ce conflit", lance encore M. Kerry.
La courtoisie du ton, l'ambiance solennelle du Conseil, rend l'échange encore plus glacial.
A la fin du discours du secrétaire d'Etat américain, M. Lavrov se lève et quitte la salle.
Moscou, allié de Damas, engagé militairement dans la guerre, et Washington, soutien de l'opposition, jouent depuis plusieurs mois un ballet ambigu d'adversaires/partenaires sur le conflit syrien.
MM. Kerry et Lavrov, qui se connaissent bien et affichent souvent une forme de complicité, ont discuté des centaines d'heures, et ont conclu par deux fois un accord sur une trêve en Syrie, en février dernier et début septembre.
Les deux trêves ont rapidement volé en éclats, et le ton est singulièrement monté entre les deux pays au cours des derniers jours, chacun s'accusant de porter la responsabilité de l'échec.
"Quand deux éléphants se battent, c'est l'herbe qui souffre", soupire le président sénégalais Macky Sall à la fin de son intervention devant le Conseil.