Gédéon Kyungu Mutanga a rendu les armes le 11 octobre après des années de lutte contre Kinshasa. Condamné à la prison à vie pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, échappé de prison en 2011, ce chef rebelle a bénéficié d’une amnistie en échange de sa reddition. Une prime à l’impunité, dénoncent des ONG congolaises.
Nouveau départ pour Gédéon Kyungu Mutanga. En 2009, ce chef milicien a été condamné à la peine capitale pour « crimes contre l’humanité, crimes de guerre, mouvement insurrectionnel et terrorisme » dans l’ancienne province du Katanga, dans le Sud-Est de la République démocratique du Congo. La peine de mort faisant l’objet d’un moratoire, sa sentence a été commuée en prison à vie. Il devait donc finir ses jours à la Prison de haute sécurité de Kassapa, près de Lubumbashi, deuxième ville du pays et ex-capitale du Katanga.
Fin 2011, Gédéon s’est échappé avec près de mille autres détenus, profitant d’une attaque lancée par un « commando » d’une dizaine de personnes, selon Kinshasa. Peu après, les autorités provinciales avaient mis sa tête à prix : pas moins de 100.000 dollars pour capturer le rebelle qui s’était retourné contre le pouvoir, après l’avoir défendu face à des militaires « rwandais » lors de la deuxième guerre du Congo (1998-2003). Finalement, il n’a jamais été attrapé et a combattu l’armée loyaliste. Après des mois de pourparlers, il s’est rendu le mardi 11 octobre.
Les négociations ont notamment été pilotées par le général Philémon Yav, commandant de la 22e région militaire, et le général de police John Numbi, suspendu de ses fonctions depuis l’assassinat en 2010 du défenseur des droits de l’Homme Floribert Chebeya, et qui vient d’être sanctionné par Washington suite à des menaces de mort qu’il aurait proférées contre des opposants candidats à l’élection des gouverneurs, organisée en mars. Selon les images de la chaine publique, les autorités ont chaleureusement accueilli Gédéon à Lubumbashi.
« Le prix à payer »
« L’accueillir en grande pompe, c’est comme dire qu’il est un héros, un exemple à suivre, tempête l’avocat Hubert Tshiswaka Masoka, directeur de l’Institut de recherche en droits humains (IRDH). Gédéon a été jugé et reconnu coupable de crimes relevant de la compétence internationale. Nous attendions que le gouvernement s’occupe des victimes : il y a eu des milliers de familles déplacées, des maisons brûlées… On devrait lui poser des questions sur ce qu’il a fait entre son évasion et le moment où il a rendu les armes. »
Un officier supérieur de l’armée précise que Gédéon a fait reddition avec, « au total, 103 combattants », et que « 84 armes » ont été récupérées. L’ex-chef rebelle a déclaré ne pas avoir peur d’affronter la justice, mais il y aurait peu de chances qu’il repasse devant un tribunal. « Une amnistie leur a été accordée en échange de leur reddition. C’est le prix à payer », souligne l’officier. Cher payé, estime Timothée Mbuya, président de l’ONG Justicia. C’est une « prime à des personnes qui ont endeuillé une bonne partie du Katanga ».
L’Est souffre d’une instabilité chronique depuis plus de vingt ans. Au nom de la paix, Kinshasa a gracié des groupes armés et les a intégrés dans les forces de défense et de sécurité, ou dans les cercles du pouvoir. Seulement, insatisfaits, certains se sont à nouveau rebellés. Lassée de ce cycle, la RDC a décidé d’accorder son pardon au cas par cas et d’exclure d’office les auteurs présumés de crimes graves. Du coup, des activistes voient en l’affaire Gédéon une politique du deux poids, deux mesures.
Timothée Mbuya l’analyse comme la preuve d’une « connivence entre Gédéon et le pouvoir à des fins politiques ». Me Tshiswaka Masoka, lui, s’interroge. « Si c’est une amnistie pour essayer de calmer la situation politique, est-ce que ceux qui ont commis des crimes dans les autres provinces auront le même traitement ? Est-ce qu’on va discuter avec les politiciens en prison ou ceux en exil ? », lance-t-il, faisant allusion aux opposants qui réclament le départ de Joseph Kabila le 19 décembre, fin de son deuxième et dernier mandat constitutionnel.
Reconversion politique
Pour le ministre de la Défense, Crispin Atama Tabe, l’essentiel est que cette reddition puisse faire reculer l’insécurité. Et il y croit. Gédéon était le chef présumé des séparatistes Bakata-Katanga, qui dénonçaient les inégalités entre le Nord de l’ex-Katanga, pauvre, et le Sud, riche en minerais. Très actifs en 2013-2014, ces miliciens sont accusés de meurtres, enrôlements forcés, pillages, incendies… dans le « Triangle de la mort », délimité par les territoires de Pweto, Manono et Mitwaba. Au pic des violences, on comptait 607.000 déplacés.
Aujourd’hui, les rebelles sont très affaiblis à cause d’attaques de l’armée. Depuis mars, dans certaines zones, les autorités leur proposent de remettre leurs armes en échange d’une amnistie et d’un cadeau (vélo, moto, tôle…) Résultat, certains en profitent pour quitter la brousse. Des ONG s’en réjouissent mais regrettent qu’il n’y ait aucune réparation ou compensation pour les victimes : de nombreux déplacés sont rentrés mais n’ont pas les moyens de refaire leur vie ; tandis que d’autres restent en exil et manquent de tout.
Gédéon ne serait pas trop inquiet quant à son avenir. « Il va s’engager librement en politique », explique l’officier militaire. Le jour de sa reddition, il portait un tee-shirt vert à l’effigie du président Kabila. « Shikata », pouvait-on lire. En langue kiluba, cela signifie « reste longtemps » : c’est le slogan que lancent ceux qui souhaitent que le chef de l’Etat, arrivé au pouvoir en 2001, reste en poste au-delà de son deuxième quinquennat. Gédéon a-t-il prêté allégeance à Joseph Kabila ? « Est-ce qu’il a le choix ? », conclut l’officier.
Habibou Bangré, à Kinshasa